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oppresseur qui pesait sur elle[1]. » Et ce même Vettori, dont nous avons déjà parlé, ambassadeur de la république de Florence auprès du pape Léon X, écrivait confidentiellement de Rome à son ami Nicolas Machiavel : « Que sorte vainqueur n’importe qui, ou les Français ou les Suisses, et, si cela ne suffit pas, que vienne le Turc avec toute l’Asie, et que les prophéties s’accomplissent. Et, pour vous dire la vérité, je voudrais que ce qui doit arriver vienne vite… Nous allons tournoyant autour des princes chrétiens, et nous ne prenons pas garde au Turc qui, pendant que ces princes sont en négociation, fera quelque chose à laquelle peu de gens s’attendent… Et je crains que Dieu ne veuille nous punir, malheureux chrétiens ; et, pendant que nos princes sont en discorde et qu’on ne voit aucun moyen de les mettre d’accord, je crains que le Grand-Seigneur ne nous tombe dessus et par terre et par mer, et qu’il ne chasse ces prêtres à la vie ordurière et autres gens de plaisir. Et plus vite ce sera, mieux cela vaudra[2]. »

Est-ce que cet état de choses a changé depuis cette époque ? est-ce qu’il a changé jusqu’à ces derniers temps ? Le cardinal Sachetti, quelques jours avant sa mort, en 1664, dans une lettre qu’il adressait au pape Alexandre VII, disait entre autres choses : « Ces afflictions surpassent de beaucoup celles du peuple élu en Égypte… Et qui pourrait en vérité entendre sans avoir les yeux remplis de larmes que ces populations (celles des États pontificaux) se trouvent sous un joug insupportable, et qu’elles sont traitées d’une manière plus inhumaine que ne le sont les esclaves de l’Afrique et de la Syrie[3]. »

Arrivons à l’époque actuelle. Un des hommes éminents de l’Italie contemporaine, le célèbre Farini, parlant du parti que l’Autriche tâchait de former dans les Romagnes, après la chute de Napoléon, — suivie de la restauration du gouvernement pontifical, avec toutes les tyrannies et toutes les turpitudes qui lui sont inhérentes, — observe qu’il était bien facile de s’y faire un parti, tant était grande l’aversion des populations pour le gouvernement du pape ; cette aversion était telle que l’on entendait le cri d’indi-

  1. Marino Zorzi, Relazione di 1517, cité par L. Ranke, dans son Histoire de la Papauté, traduction française, tome II, pages 202-210.
  2. « E faccia uscire questi preti di lezi e gli altri uomini di delizie ; e quanto più presto fosse, tanto meglio. » (Lettere famigliari, di N. Machiavelli, lettres 20 et 22.)
  3. Arkenholtz, Mémoires, tome IV, Appendice ii, 37, cité dans l’opuscule : les Papes princes italiens (1860), page 109, et note viii, où se trouve cette lettre qu’il faut lire tout entière. — Voilà la déposition d’un cardinal honnête homme ; et cependant de Maistre, dans ses Lettres sur l’Inquisition, nous présente les Romagnes comme une autre Salente ! On ne peut rien imaginer qui égale l’effronterie de cet homme.