Page:Lampryllos - Le Turban et la Tiare, 1865.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« À Éperies, lisons-nous dans le même ouvrage, pages 175-176, des échafauds furent dressés sous ses fenêtres même (du général Caraffa) ; ils fonctionnèrent pendant trente jours consécutifs, desservis par trente bourreaux qui rivalisaient à qui inventerait des supplices d’une barbarie plus raffinée, et qui reçurent 600 florins de gratification. C’était une épouvantable boucherie qui n’avait pas eu d’exemple dans les siècles de la plus grande barbarie…

» Après avoir épuisé les arguments les plus subtils pour mener à bien des projets longtemps caressés, l’intolérance, comme sûre d’elle-même, crut pouvoir afficher ses prétentions au grand jour. Faciam hungariam captivam, postea mendicam, deinde catholicam. »

De quoi ont-ils à se plaindre, les auteurs de cet ouvrage ? La religion que prêchait l’Autriche et ses alliés par ses Caraffa, ses Vallenstein, des ducs d’Albe, son cardinal Colonitz, n’est-elle pas celle de la vraie foi ? Et l’admirable procédé de leur prédication n’est-il pas le même que celui que mettaient en œuvre ces bons pères dominicains en Cumanie ? Ils ont mauvaise grâce de s’en plaindre, au lieu d’en exprimer des actions de grâce.

Et cependant, partout dans cet ouvrage, les auteurs se montrent, aussi bien en politique qu’en religion, vraiment libéraux. D’où vient donc le vertige qui trouble leur entendement, aussitôt qu’il s’agit de ce qu’ils appellent le schisme photien ? Que valent les lumières tant vantées de notre siècle, si elles ne suffisent pas à nous délivrer de ces ombres qui favorisent l’ennemi commun ! Car ce ne sont pas ces auteurs seuls qui, fort estimables sous tous les rapports, aussitôt qu’ils se trouvent en face de ce point lumineux, sont pris d’un éblouissement inexplicable : il y en a tant d’autres !

Voyez cependant les justes compensations de la Providence ! Les mêmes nations qui, inspirées par le souffle venant de Rome, ont porté des guerres si implacables aux chrétiens orientaux qu’elles les ont forcés de se jeter comme en un asile dans les bras des Turcs, — elles-mêmes, peu de temps après, se sont à leur tour, comme nous l’avons déjà montré, trouvées dans la cruelle nécessité de s’écrier aussi : Plutôt le turban que la tiare ! Mieux le Turc que le Pape !

Et tandis qu’elle plongeait ainsi toute l’Europe dans le deuil et la désolation, la papauté se comportait-elle au moins d’une manière tolérable envers les peuples placés sous sa domination immédiate ? — Pire encore que partout ailleurs ! pire que les Turcs ! Voici ce qu’un envoyé vénitien écrivait, en 1517, à son gouvernement : « On vit successivement arriver à Rome les ambassadeurs de chaque ville pour demander un allégement à leurs charges : Ravenne ne craignit pas de déclarer hautement qu’elle était prête à se livrer aux Turcs plutôt que de tolérer plus longtemps le régime