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HISTOIRE D’UNE JUMENT NOIRE.

qu’elle aime… Que de tristesse on peut lire dans ses yeux ! Qui sait, alors, quelle détresse se répand dans son âme obscure ?…

Dans le roman d’une pauvre ouvrière, où la vie des humbles est racontée avec un grand charme, je me souviens d’avoir lu jadis une phrase magnifique. Il s’agissait d’une vache entêtée qui s’échappait sans cesse du troupeau. C’était une « nouvelle » venant d’une province voisine. Arrivée seulement depuis quelques semaines, elle ne semblait pas s’habituer à ses nouveaux maîtres. Elle allait à gauche, à droite, regardait de tous côtés, et lançait à tout moment des beuglements lamentables… Comme on se disposait à la frapper, le vacher intervint en disant : « Laissez-la ! Laissez-la ! On ne sait pas ce qu’elle regrette ! »

Cette réponse était juste. Derrière cette tête silencieuse, au fond de ces yeux entêtés et secrets, il y avait le souvenir de la plaine lointaine, des lieux connus et des visages chers dont l’image demeure ineffaçable… Les animaux s’attachent à leurs maîtres et