Page:Lamontagne-Beauregard - Au fond des bois, 1931.djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— 82 —

des champs. Je m’approchai pour l’interroger. « Savez-vous, lui dis-je, ce qu’est devenue la vieille N. qui vivait dans cette maison ? » Il me regarda, tout surpris, scrutant mon regard sous les bords du chapeau que j’avais rabattu sur mon front. Mais il ne me reconnut pas ; il ne pouvait pas me reconnaître, car j’étais déjà presque un vieillard. Vous l’avez connue ? demanda-t-il. « Ah ! oui, repris-je, parlant comme un vrai mendiant, elle m’a hébergé plusieurs fois, jadis ! — Ah ! dit-il, il n’y en a pas comme les pauvres pour comprendre les pauvres !… Cette vieille-là, c’était une sainte. Elle est morte l’année dernière. Figurez-vous qu’elle est morte de peine pour son petit-fils qu’elle a élevé, et qui la quitta pour aller naviguer en Angleterre. Elle a parlé de lui jusqu’à la dernière minute. Ce sans-cœur-là n’a jamais écrit un mot. Pauvre vieille ! Il lui prenait des chagrins que ça faisait pitié ! Oui, pauvre vieille ! Ce gaillard-là peut dire qu’il l’a tuée la même chose que si il lui avait planté un poignard dans le cœur ! » À mesure qu’il parlait, je sentais mes jambes ployer sous mon corps ; il me semblait que je tombais comme une masse inerte. J’au-