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pas voir pleurer la pauvre vieille. Comme il faut que la passion de la mer soit puissante pour étouffer dans une âme tous les autres sentiments ! Je partis sans me demander ce que deviendrait cette femme qui ne vivait que pour moi, qui ne travaillait que pour moi, dont j’étais l’unique espoir et l’unique tendresse, dont j’étais la vie enfin, toute la vie ! Je partis comme un déserteur, et je me rendis à pied, de peine et de misère, jusqu’à Gaspé. J’y trouvai un brick en partance pour l’Angleterre. Je fus assez chanceux pour y monter tout de suite comme matelot. Alors commença pour moi une vie nouvelle, vie de bonheurs et d’épreuves. Toujours engagé à bord des bateaux qui transportaient des marchandises d’un pays à l’autre, je n’amassai jamais un sou, dépensant dans les hôtels de Londres tout ce que je gagnais d’argent sur la mer. Puis je fis la connaissance d’une jeune Anglaise que j’aimai follement. Comme elle m’aimait aussi, nous nous mariâmes secrètement et je l’emmenai à Gaspé où je louai une petite maisonnette de pêcheurs. Je faisais la pêche avec les autres hommes de l’endroit.

Comme j’étais habile à prendre la morue,