Page:Lamontagne-Beauregard - Au fond des bois, 1931.djvu/58

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— 58 —

nait pourtant peu de place, était pour nous un bien rare, une sorte de trésor. Mon frère ne passait jamais près de l’enclos sans regarder avec orgueil sa précieuse trouvaille.

Or, un soir, voici ce qui arriva. C’était un de ces soirs plus beaux que le jour, débordant d’échos, de chants et de soupirs… Les feuilles bruissaient, les branches murmuraient, les oiseaux chuchotaient dans l’ombre… Au bord des lacs majestueux les cimes miraient leurs profondeurs sans fin. Ici, on entendait le nasillement des canards et des bécasses, le coassement des grenouilles, « le tire-lire » des alouettes… Plus loin, c’étaient les appels plaintifs du chevreuil et les bramements de l’orignal. Tout n’était que vie et tressaillement. Assise au seuil de la porte, j’écoutais avec ravissement ces bruits et ces chants qui sont comme la respiration harmonieuse de la terre. Soudain, une troupe d’outardes libres passa au-dessus de nous.

Elles étaient bien une vingtaine. Emportées dans l’ivresse de leur vol, elles jetaient des cris de joie qui se répercutaient de cime en cime, de forêt en forêt. Et j’entendis alors — ô cruel souvenir ! — notre outarde à nous que tous croyaient heureuse,