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pesé toutes choses… Je sens des liens puissants qui m’attachent ici. Je sais maintenant que si je partais, mon cœur en serait à jamais déchiré… Je ne partirai pas !… Je ne partirai jamais. Partir, partir… quel mot plein de mystère et de menace ! Si je partais d’ici je mourrais d’ennui, j’en suis sûre, comme une plante déracinée qui se dessèche sur sa tige.

Près de moi est le portrait de ma mère. Sa coiffe blanche retombe, gracieuse, sur ses cheveux lisses, et ses yeux semblent me regarder mystérieusement. Son âme est ici qui se pose sur toute chose. Elle m’entoure, elle me garde, elle m’inspire mon devoir. Mon devoir est de rester dans cette maison. Là-bas, il est vrai, je serais une grande dame, et tous les plaisirs deviendraient mon lot ; mais j’aurais toujours au fond de l’âme un remords : celui d’avoir abandonné l’œuvre commencée, d’avoir délaissé mon père et le foyer… Je pense à ma mère. Ce serait donc en vain qu’elle s’est dépensée sans compter, qu’elle a tant travaillé, tant peiné ? Cette maison qu’elle aimait, qui a été, pour ainsi dire, pétrie de ses sueurs, cette maison à laquelle elle a donné tous ses instants et toute sa vie,