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GEOMETRIE

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nées ; l’invention de la géométrie analytique par Descartes et Fermât, les applications du calcul infinitésimal dû à Newton et Leibniz, ouvrent un champ nouveau qui, pendant un siècle et demi, absorbe à peu près tous les efforts. De la sorte, l’étude des relations métriques des figures avait pris une importance tout à fait prédominantes ; il restait à développer également l’étude des relations descriptives et à établir, par la reconnaissance de la dualité entré les formes et les propriétés de l’étendue figurée, un lien étroit entre les deux branches de la science. Pour cela, il fallait se rapprocher, jusqu’à un certain point, des anciennes méthodes, sauf à y introduire de nouveaux artifices, que les Grecs ont pu d’ailleurs connaître plus ou moins, mais dont en tous cas la tradition s’était perdue depuis eux. Déjà au xvn e siècle, Desargues et à sa suite Pascal et Lahire étaient entrés dans cette voie. Monge, en constituant la géométrie descriptive, la rouvrit définitivement et notre siècle a assisté au développement d’une branche de recherches offrant un caractère tout spécial. Il est difficile de juger aujourd’hui si le nouveau champ sera bientôt assez épuisé pour être délaissé à son tour et si le xx e siècle ne verra pas se produire une nouvelle évolution. Parmi les tentatives récentes qui paraissent susceptibles de produire des résultats plus ou moins féconds, au moins en ce qui concerne la science pure, on doit surtout signaler celles qui ont pour objet d’étudier les conséquences de l’élimination de l’un ou de l’autre des postulats de la géométrie euclidienne et que l’on peut comprendre sous le nom général de géométrie imaginaire (V. ci-après).

Principes de la géométrie. — La géométrie consiste en un ensemble de démonstrations absolument rigoureuses, si l’on admet, en dehors de définitions purement verbales, un certain nombre de propositions primordiales que l’on qualifie d’axiomes ou de postulats. Les énoncés de ces propositions ont d’ailleurs un caractère complètement abstrait, en sorte qu’elles paraissent, à première vue, appartenir à un autre domaine que celui de l’expérience ; il est clair cependant qu’à ce point de vue la géométrie n’est pas au même degré d’indépendance que l’arithmétique (entendue au sens universel) ; les objets de cette dernière peuvent être conçus avec l’aide du sens intérieur seul, ceux de la première sont nécessairement conçus comme susceptibles d’être perçus sous le mode concret, par le sens extérieur. Mais si celui-ci, comme le dit liant, a l’espace pour forme à priori, l’intellect n’est-il pas par là même obligé à reconnaître, comme également à priori, les conditions propres à cette forme ? La constitution de la géométrie imaginaire prouve que cette obligation n’existe pas pour tous les axiomes ; ils reposent donc sur l’expérience ; seulement il ne s’agit pas ici de l’expérience telle qu’on l’entend en physique, entreprise sur des phénomènes particuliers pour en déterminer les lois inconnues, mais de l’expérience générale qui donne successivement à tous les hommes un même enseignement et, probablement après une longue série de générations, est ainsi parvenu à leur inculquer la ferme croyance à des relations abstraites qu’ils qualifient de vérités d’intuition. D’un autre côté, si le point de départ delà géométrie est expérimental (par conséquent contingent et pouvant dès lors n’être pas soit rigoureusement, soit absolument vrai), la science n’en est pas moins indépendante de l’expérience, «lu moment où elle ne prend les postulats que comme hypothèses, et n’a pas dès lors à s’occuper de la vérification de ses conclusions. Il va sans dire que, pour les applications de la science aux objets concrets, la situation n’est pas la même ; mais il est suffisamment connu par la pratique que les imperfections des instruments et des moyens de mesure sont telles que les discordances entre les calculs et les observations doivent toujours être mises à leur compte. — l’our préciser davantage le rôle de l’expérience dans la constitution des axiomes, prenons d’abord celui dont l’intuition parait la moins nécessitée, celui qui est connu sous le nom de postulat uni d’Euclide, que par un point on ne peut mener, dans un plan, qu’une seule droite qui soit parallèle à une autre (qui ne la rencontre pas). Nous remarquerons que ce n’est pas évidemment sous cette forme que ce postulat est enseigné par l’expérience générale ni qu’il pourrait être vérifié par l’expérience particulière. S’il était réellement en question, on s’attacherait à l’une des conséquences que l’on en tire : on mesurerait les trois angles d’un triangle très grand et on s’assurerait si leur somme fait ou non deux droits, procédé qu’au reste Gauss et Legendre n’ont pas jugé hors de propos de discuter sérieusement. Quant à l’expérience générale, ce qu’elle enseigne effectivement, c’est d’autres conséquences, par exemple la constance des rapports entre les côtés de triangles dont les angles sont les mêmes. 11 est clair que, dès que l’on a commencé, pour les besoins de l’architecture, à faire du dessin géométrique, cette constance a été postulée et que si on prend un ouvrier intelligent, mais non instruit, il sera plus facile de lui faire comprendre le principe de l’échelle dans un dessin que la formule abstraite du postulatum. Enfin il est établi (V. lejj Géométrie euclidienne et non-euclidienne) qu’il est possible de construire, sans aboutir à aucune contradiction, un système complet de géométrie ou l’on suppose que, par un point, on peut dans un plan mener une infinité de droites qui ne rencontrent pas une droite donnée du plan.- — Prenons au contraire la notion qui est au fond de toute intuition et qu’on exprime sous une formule plus commode que vraiment scientifique, en disant que l’espace a trois dimensions. Il est certain que l’enfant acquiert de lui-même cette notion par le fonctionnement naturel de ses sens, et l’on peut d’autant moins dire qu’elle est donnée à priori, qu’on ne peut en donner aucune raison suffisante. Rien n’est d’ailleurs plus facile que de constituer, sans contradiction, une géométrie à plus de trois dimensions ; mais, comme elle ne se prête pas à l’intuition, cette prétendue géométrie ne sera, à vrai dire, qu’une combinaison logique de symboles analytiques. Ainsi tous les axiomes de la géométrie sont empruntés à l’expérience, mais ils se présentent à nous comme plus ou moins indispensables à l’intuition, sans qu’il y ait d’ailleurs intérêt réel à les classer rigoureusement à cet égard.

Une question très débattue dans ces derniers temps, mais qui n’est pas encore complètement élucidée, est celle du nombre réel des axiomes géométriques et de la formule qu’il est préférable de donner à chacun d’eux. Au début du premier livre d’Euclide se trouve une liste célèbre divisée en deux parties, dont l’une est intitulée postulats (a’1-crjjj.ata), l’autre notions communes (-/.oiva’ù'woiai). Ce dernier terme, d’origine stoïcienne, permet de douter que la rédaction de ces listes appartienne effectivement à Euclide. Elle présente d’ailleurs, suivant les manuscrits, des différences qui prouvent qu’elles ont été remaniées et interpolées. Sous la forme primitive, il semble que les anciens aient classé comme notions communes les propositions qui n’ont pas un caractère purement géométrique, celles qui se rappoitent à la notion d’égalité en général ; comme postulats, au contraire, les véritables axiomes de géométrie. Les trois premiers postulats d’Euclide ont un caractère tout spécial ; ce qu’ils posent, c’est la possibilité de constructions auxquelles toutes les autres seront ramenées : mener une droite entre deux points donnés, prolonger une droite donnée, décrire un cercle de centre et de rayon donnés ; à ces postulats s’adjoignent d’autres propositions effectivement invoquées dans les démonstrations : l’égalité de tous les angles droits (qu’il est facile de prouver) , le postulatum des parallèles, enfin (interpolée dans les notions communes) l’impossibilité pour deux droites, qui ont deux points communs, de ne pas coïncider dans l’intervalle. Cette liste est évidemment loin d’épuiser toutes les notions fondamentales dont Euclide a réellement fait usage, car d’un côté ses définitions supposent un certain nombre de ces notions ; d’autre part, il fait souvent appel à l’intuition. Or l’intuition suppose avant tout la reconnaissance des trois dimensions, la divisibilité de l’étendue à l’infini, enfin