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avait protesté de son désir passionné de la paix ; il lui conseilla d’atténuer le coup en s’adressant quand même à l’Europe avec modération et laissant au roi Guillaume une ligne de retraite.

L’effet produit par la déclaration fut désastreux. En Allemagne, on trouvait unanimement que l’affaire de la candidature Hohenzollern était une affaire espagnole et une affaire de famille pour les Hohenzolltrn. Le gouvernement prussien n’avait pas à s’en occuper. Bismarck était en villégiature à Varzin, son roi à Ems ; ils persévérèrent dans leur attitude de « silence complet et d’abstention ». Ce fut la réponse que de Thile fit à l’ambassadeur d’Angleterre. Le gouvernement français résolut alors de faire sortir son adversaire de cette attitude évasive et envoya à Ems son ambassadeur. Les instructions de P.enedetti étaient senséi s, mais complétées par une lettre du duc de Grarriont qui ne laissait pas de place à la conciliation : « Nous ne pouvons pas accepter la réponse évasive avec laquelle M. de Thile cherche à sortir du dilemme qui lui a été posé ; il faut absolument que vous obteniez une réponse catégoi ïqrre, suivie de ses conséquences naturelles. Or, voici la seule qui puisse nous satisfaire et empêcher la guerre. Le gouvernement du roi n’approuve pas l’acceptation du prince de Hohenzollern, et lui donne l’ordre de revenir sur cette détermination, prise sans sa permission. Nous sommes très pressés, parce qu’il faut prendre les devants dans le cas d’une réponse non satisfaisante, et dès samedi commencer les mouvements des troupes pour entrer en campagne dans quinze jours... Tenez-vous en garde contre une réponse qui consisterait à dire que le roi abandonne le prince de Hohenzollern à son sort et se désintéresse de tout ce qui arrivera... Nous ne pourrions accepter cette réponse comme satisfaisante, car le gouvernement du roi ne peut se désintéresser aujourd’hui par de simples paroles d’une situation qu’il a contribué à créer. » En somme, on exigeait du roi de Prusse un désaveu public, une sorte de rétractation, en le menaçant de guerre immédiate. Il était clair qu’on ne l’obtiendrait pas. Cependant, une ouverture de Prim transmise à Paris préparait une transaction raisonnable : « Que le prince me dise qu’il rencontre des obstacles au consentement du roi, et alors, au lieu d’insister, je lui facilite la retraite. » L’Angleterre, l’Autriche, l’Italie conseillaient cette solution, de même le roi Charles de Roumanie, frère du candidat. Le duc de Gramont le fit savoir à Benedeiti, en lui mandant qu’il dépendait du prince de Hohenzollern d’éviter les maux que sa candidature rendait inévitables. C’était là une proposition fort raisonnable et modérée, contradictoire avec la lettre écrite une heure avant. C’est que le ministère français était en majorité pacifique : de Parieu, Chevandier de Valdrome, Louvet, Segris et même Ollivier sentaient le danger de la guerre et résistaient au parti militaire qui la demandait. Malheureusement, le langage belliqueux de la presse et du ministre des atlaires étrangères avait indisposé l’Europe. L’Angleterre, peu sympathique à la France, décidait les neutres à s’abstenir de toute intervention ; l’Autriche, mécontente de la manière dont on s’engageait, était paralysée par les sentiments prussophiles de la Hongrie ; la Russie, à qui on n’offrait rien, et qui redoutait une résurrection de la question polonaise, conseillait pourtant la prudence à la cour de Berlin, mais prenait des précautions contre la France, que tout le monde d’ailleurs croyait plus prête et plus forte qu’elle ne l’était. Les chances de transaction pacifique étaient toutefois grandes encore, à cause du caracière du roi Guillaume ; c’était un homme prudent, inquiet du prestige des années françaises, malgré sa confiance dans les siennes ; il redoutait la guerre et ne voulait pas en avoir la responsabilité, bien qu’il dût l’accepter avec une fermeté extrême et une foi entière dans la justice de sa cause. Malgré la rudesse du langage tenu à son adresse le juil., il souhaitait un arrangement qui évitât la guerre en sauvegardant sa dignité. Bismarck lui-même conseillait d’abandonner le prince Léo-

— FRANCO- ALLEMANDE

pold ; il savait que, pour son roi comme pour le peuple allemand, la chose capitale était de se faire déclarer 1 la guerre, de paraître attaqué. Donc, nulle intransigeance, des offres de concessions. Ou la France s’en contenterait et l’amour-propre serait sauf, ou elle les refuserait et aurait la responsabilité de la guerre. Le rôle de Benedetti était fort délicat. Il s’en acquitta bien. 11 arriva la 9 juil. à Ems. Il vit le roi qui l’accueillit fort courtoisement et lui dit qu’il avait écrit au prince Antoine, à Sigmaringen, lui faisant connaître que, si son fils et lui étaient disposés à retirer leur acceptation, il les en approuverait ; il attendait leur réponse. En Espagne, le régent Serrano avait adopté le même parti et allait envoyer au prince un agent pour lui exposer les raisons qui rendaient désirable le retrait de la candidature (10 juil.). L’entente paraissait facile. Elle l’eût été sans l’état d’esprit des conseillers de l’empereur. D’emblée, ils avaient cru à la guerre ; ils ne se départaient pas de ce point de vue. Le souvenir des fameuses négociations dilatoires de 1866 pesait sur eux ; ils craignaient que la Prusse voulût seulement gagner du temps, et se persuadaient qu’elle commençait ses préparatifs militaires. Le paradoxe vraiment insensé était de vouloir, en gagnant un ou deux jours, la prendre de vitesse, alors que sa mobilisation se faisait en douze jours et celle de la France en trois semaines. C’est pointant cette idée qui hanta les ministres français ; leur impatience, leur nervosité étaient invraisemblables et contrastaient avec le flegme des gouvernants prussiens. En réalité, l’attitude des Espagnols mettait à néant la candidature qui était la cause de ce conflit. Il ne subsistait plus qu’un malentendu. Mais la surexcitation du monde politique parisien le rendait très grave. Ce fut en précipitant les événements sans motif impérieux qu’on ruina l’espoir de conciliation. Le roi de Prusse, dans la troisième journée des pourparlers d ’Ems (11 juil.), s’en tint à son parti : renonciation spontanée du prince Léopold, approuvée par lui. Il laissait le débat sur le terrain d’une affaire de famille des Hohenzollern et ne cédait pas aux injonctions françaises, tout en donnant satisfaction sur le fond. Il faisait pressentir que telle serait sa réponse, refusant de conseiller ouvertement la renonciation, ce qui l’eût découvert. Ses atermoiements avaient pour but de souligner le caractère spontané de la renonciation. Les nouvelles de Paris, le langage agressif des journaux commençaient à émouvoir l’Allemagne. Prévoyant que les conseillers de Napoléon III ne se contenteraient pas de la satisfaction diplomatique qu’on leur offrait, Bismarck vint de Varzin à Eerlin. Il allait entrer en sci ne et chercher le moyen de rendre inévitable la guerre que les militaires prussiens et lui-même souhaitaient ardemment. Le langage ironique des journaux allemands avait contribué à l’exaspération des Français. Les diplomates étrangers jugeaient tous la guerre très probable ; leur principal souci était de se tenir sur la réserve. Telle était la situation lorsque, le -13 juil., le prince Antoine de Hohenzollern télégraphia en clair’ au maréchal Prim : « Vu les complications que parait rencontrer la candidature de mon fils Léopold au trône d’Espagne, et ht situation pénible que les derniers événements ont créée au peuple espagnol en le mettant dans une alternative où il ne saurait prendre conseil que du sentiment de son indépendance ; convaincu qu’en pareille circonstance son suffrage ne saurait avoir la sincérité et la spontanéité sur lesquelles mon fils a compté en acceptant la candidature, je la retire en son nom. » Cette décision fut télégraphiée à l’ambassadeur d’Espagne à Paris, Olozaga, et communiquée a la presse allemande. En même temps nu courrier la poi’tait au roi, de manière qu’il ne la connût officiellement qu’après tout le monde, ce qui en soulignait la spontanéité. L’incident était clos, et la diplomatie française pouvait exploiter le succès rempi rie sur le fond. Il est vrai qu’on n’avait pas obtenu t

roi de Prusse la conces- 

sion d’amour-propre qu’on lui demandait ; conformémei.t à sa théorie, l’affaire avait été réglée en dehors de lui.