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COMPENSATION

I. 11 semble qu’un mode de règlement aussi simple aurait du être admis partout comme un droit au profit de chacune des parties des les plus anciens temps du droit privé. Il n’en a pourtant pas été ainsi. Sans doute, la notion de la compensation volontaires du se dégager de très bonne heure ; il serait naturel que l’on eut permis de tout temps aux débiteurs de deux dettes réciproques de s’entendre pour se libérer l’un l’autre sans déplacement de numéraire, sauf a recourir, pour la réalisation de ce but, à l’un des procédés organisés parle formalisme du droit primitif pour éteindre une obligation ; mais la compensation forcée, c.-ii-d. la compensation susceptible d’être invoquée comme un droit, et malgré la résistance de son adversaire, par le débiteur actionné en justice, a rencontré des obstacles. — Il ne semble pas qu’elle ait été connue a Athènes.

— A Rome, dans le système de la procédure primitive, le débiteur poursuivi par son créancier n’avait pas le droit d’opposer sa propre créance à la demande dirigée contre lui. Pour accélérer la marche des procès et Faciliter la tache du juge, le législateur avait voulu que ce juge ne fût saisi que d’une question unique ; la défense était étroitement limitée par la question soulevée par le demandeur et les contre-prétentions du détendeur ne pouvaient se produire que par voie d’instances séparées. Après l’établissement de la procédure formulaire, exception fournit au défendeur le moyen d’élargir le terrain de sa défense. Cependant on ne lui permit pas d’abord d’opposer à la créance invoquée contre lui une contrecréance ; on craignait qu’il n’usât d’une telle faculté pour faire traîner le procès en longueur par pure chicane : il y a des prétentions qu’on n’hésite pas à mettre en avant sous forme d’exceptions et qu’on reculerait à produire par voie d’action principale. La règle, il est vrai, n’était pas absolue ; mais les dérogations qu’elle comportait étaient peu nombreuses. Dans les actions bonœ ftdei, en considération du caractère même de l’action, le juge était autorisé à compenser, sur la requête du défendeur, les obligations réciproques qui avaient pris leur source dans l’opération juridique (ex eâdem causa) au sujet de laquelle la demande était intentée. Le banquier (argentarius) qui voulait agir en règlement de compte par une condictio contre un client pour lequel il avait fait des paiements en même temps que des recouvrements, devait faire lui-même la balance des créances réciproques, lorsqu’elles avaient pour objet des choses du même genre et lorsqu’elles étaient également exigibles, et ne réclamer dans l’intentio de la formule que la différence restant au débit du client. L’inobservation de cette règle entraînait contre lui la perte du procès pour cause de plus petitio. Une compensation s’opérait aussi, mais dans des conditions différentes, et sous le nom de deductio, lorsque, après la vente en masse des biens d’uu débiteur en déconfiture, l’acheteur (bonorum emptor) poursuivait une personne qui se trouvait être en même temps débitrice et créancière de l’insolvable. Quel que lût l’objet des deux dettes et la différence des échéances, la condemnaHo de la formule autorisait le juge à tenir compte au débiteur poursuivi du dividende qui devait lui revenir comme créancier de l’insolvable. Dans le cours du 11 e siècle de l’ère chrétienne, un progrès s’accomplit. La jurisprudence fit prévaloir cette idée que la bonne foi ne nous permet pasde réclamer ce qui nous est dû sans avoir égard à ce que nous devons nous-mêmes, et l’on permit au défendeur, même dans une action de droit strict, d’user de l’exception de dol pour faire valoir sa propre créance, quelle qu’en fût l’origine. Un rescrit de Marc-Aurèle consacra cette jurisprudence, et la règle nouvelle conduisit à étendre la compensation aux dettes nées ex dispari causa dans les actions de bonne loi où Vexceptio doli était sous-entendue comme étant basée sur l’équité. La compensation se trouva ainsi généralisée. Le défendeur pouvait l’invoquer dés qu’il avait contre le demandeur une créance valable et actuellement exigible ; il n’était pas nécessaire que les deux dettes GRANDE ENCYCLOPÉDIE. — XII.

eussent même objet ou qu’elles fussent liquides, c.-à-d. d’existence et de quotité dès à présent certaines, parce que la compensation n’avait lieu que par l’office du juge qui, sous le système formulaire, avait toujours le pouvoir de ramener a une estimation pécuniaire les prétentions portées devant lui, les condamnations devant nécessairement avoir pour objet de l’argent. — Lorsque le juge avait reconnu l’existence des deux créances réciproques, si elles étaient égales on si celle du défendeur était la plus forte, il prononçait l’absolution de ce dernier : la formule ne lui donnait pas le droit de condamner le demandeur pour le reliquat demeurant a sa charge. Si la créance du défendeur était la plus taible, le juge le condamnait à payer la différence lorsque la compensation était invoquée dans une action de bonne foi. Cette solution convient à toute espèce d’action à l’époque de la procédure extraordinaire’, mais en était-il ainsi à l’époque classique, dans le cas d’une action stricti juris 1 Ne faut-il pas dire plutôt que le défendeur était absous dès que l’exception de dol se trouvait vérifiée de telle sorte que le demandeur aurait dû prendre le soin, pour ne pas tout perdre, de limiter lui-même sa demande lorsqu’il agissait contre un débiteur en mesure de lui opposer une compensation ? La question est discutée parmi les commentateurs modernes. — A l’époque de Justinien, la compensation fit l’objet d’une constitution impériale dont l’interprétation a donné lieu à de vives controverses (14 C. De Cornpen$.,lV, 31). Dans l’intérêt du demandeur et pour éviter des lenteurs, cette constitution décida que la créance opposée par le défendeur devrait être liquide ou tout au moins d’une liquidation facile. Llle portait en outre, et ici son sens est obscur, que la compensation aurait lieu ipso jure. Il se pourrait bien que justinien ait voulu dire que la compensation n’est pas une pure exception de procédure et qu’elle ne diffère pas en la forme d’une défense proprement dite, en tout cas sa proposition (d’éminents interprètes s’y sont trompés autrefois et leur méprise a contribué à la formation de la théorie du code civil) ne doit pas s’entendre en ce sens que la compensation aurait cessé d’être l’œuvre du juge, d’ 'être judiciaire, pour devenir Wgale et s’opérer par la seule vertu de la loi. La compensation légale n’a été reconnue à Rome que dans le cas d’impenses nécessaires accomplies sur un bien dotal : ces impenses diminuaient de plein droit la créance en reprise qui appartenait à la femme. On peut joindre à ce cas celui de l’argon— tarins dont il n’était d’ailleurs plus question au temps de Justinien : en toute autre circonstance, la compensation ne pouvait s’opérer qu’en vertu d’une décision du juge. IL Dans notre ancien droit français, la compensation fut toujours admise dans les pays qui restèrent soumis à l’empire de la loi romaine ; mais ce ne fut pas sans difficulté qu’elle se fit accepter dans les autres régions. Le droit canon l’autorisait devant les tribunaux ecclésiastiques. Le droit féodal, au contraire, l’avait absolument proscrite devant les tribunaux laïques : chaque partie, en cas de dettes réciproques, devait poursuivre le paiement de ce qui leur était dû devant le juge du domicile de son débiteur ; les prétentions ne pouvaient pas se mêler dans une même instance. Les anciens auteurs donnent comme raison de cette règle la patrimonialité des justices : les seigneurs avaient intérêt à empêcher un défendeur de porter devant son propre juge, par forme de compensation, la demande qu’il avait à produire contre son adversaire ; leurs prérogatives de juridiction et leurs revenus en même temps en auraient souflert. La rigueur des principes de la procédure féodale ne fut peut-être pas non plus étrangère à la prohibition : pour le second procès que l’admission de la compensation aurait introduit dans le premier, les lormalités et délais établis par la coutume n’auraient pas été observés. A partir du xiv e siècle, un changement s’opéra. Au xvi e siècle les jurisconsultes et les tribunaux ne faisaient plus de difficulté pour admettre la compensation et des coutumes la consacraient en termes formels. Seulement 12