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CORPS

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conquête et qui ne pouvait enfanfer aucune révolution ». Chose curieuse, toutes les appréhensions qui s’étaient manifestées quelques jours à peine avant cette déclaration officielle de la guerre tombèrent subitement. L’augmentation du contingent fut accordée d’enthousiasme. Le rapporteur de la loi proclama « que le Corps législatif, fidèle aux sentiments qui l’ont sans cesse dirigé, votera toujours avec empressement et résolution tout ce qui lui sera demandé pour la défense de notre drapeau que l’empereur tient d’une main si ferme et si sûre ». Toutefois, Emile (Olivier protesta contre le procédé du gouvernement qui ne saisissait la Chambre de la question qu’en présence des faits accomplis, et laissa entendre qu’en taisant l’expédition actuelle l’Empire n’avait peut-être qu’un but, acquérir de la gloire militaire, se servir de l’Italie plus que la servir. La’ discussion de l’emprunt fut beaucoup plus sérieuse (30 avr.). Les députés catholiques exigèrent l’assurance que l’indépendance des Etats du saint-siège resterait entière. Jules Favre prit pour la première lois la parole. Telle était déjà la force morale de la petite opposition du Corps législatif que le vice-président Schneider crut devoir présenter quelques observations préliminaires. 11 adjurait l’assemblée de garder le silence. « M. Favre est assez maître de sa parole pour que la Chambre soit certaine d’avance que le discours de l’orateur sera approprié à la gravité des circonstances. » Jules Favre se plaignit, comme l’avait fait Emile OUivier, que la France eut pu être précipitée dans une guerre susceptible d’embraser l’Europe sans que les mandataires du pays eussent pu être appelés à temps à émettre leur avis. Contrairement aux assertions réitérées du gouvernement, il était convaincu qu’on l’avait voulue et préparée de longue date. Au moins devait-on connaître la cause et le but de cette guerre et savoir si l’Empire rétablirait les monarchies et le pontificat au cas où les événements les renverseraient. « Si le gouvernement des cardinaux est brisé, versera-t-il le sang des Romains pour le relever ? » Le ministre d’Etat n’eut garde de répondre à de telles questions. Jules Favre, d’ailleurs, adhérait éloquemment au rétablissement de la liberté en Italie. « Depuis quarante ans l’Autriche a régné sur l’Italie par la violence, la terreur, l’inquisition, la police, les proscriptions, les confiscations, par de nombreuses forteresses qu’elle croit imprenables et derrière lesquelles elle abrite son impopularité ; enfin en accumulant sur ce noble et malheureux pays les moyens de destruction, elle a tout écrasé, excepté les âmes ! » L’emprunt fut adopté par 247 voix. On vota encore (3 mai) deux projets de loi pour lever 140,000 hommes par anticipation sur le contingent de 1839 et pour ouvrir un crédit de 00 millions pour dépenses urgentes. Le reste de la session n’offrit pas beaucoup d’intérêt. La guerre occupait tous les esprits. Pourtant le groupe des Cinq combattit avec acharnement les conventions avec les grandes compagnies de chemins de fer qui furent votées par 221 voix contre II et le budget amena le cortège des réclamations habituelles. La commission ne présenta pas moins de cinquante-deux amendements impliquant une réduction de dépenses de 4,446,302 fr. Le conseil d’Etat en admit trente-neuf. Paul Dupont souleva un incident curieux en demandant des renseignements qui ne purent lui être fournis. M. Baroche fut forcé d’avouer assez piteusement que les commissaires du gouvernement n’étaient pas toujours en mesure de répondre immédiatement à toutes les questions sur le budget en ajoutant toutefois que « MM. les membres du Corps législatif pouvaient être assurés que les observations qu’ils soumettraient au gouvernement étaient scrupuleusement recueillies et toujours examinées avec soin ». L’ensemble du budget fut adopté par 260 voix contre S. Entre la session de 1859 et celle de 1860 une foule d’événements importants se produisirent. La guerre d’Italie terminée par de brillantes victoires avait donné naissance aux embarras diplomatiques les plus épineux. Le principe du pouvoir temporel du pape avait rec,u une grave atteinte. Les Romagnes étaient arrachées au saint-père et Napoléon III s’étant déclaré impuissant à les faire rentrer sous son autorité, le parti catholique français avait pris une attitude presque menaçante. De plus, un programme économique de l’empereur brusquement publié par le Moniteur le 5 janv. 1860 av ait dévoilé son adhésion au libre échange et excité chez les protectionnistes très nombreux et jusqu’alors tout-puissants des mécontentements qui furent encore avivés par la publication (23 janv.) d’un traité de commerce franco-anglais stipulant l’abandon des droits prohibitifs. D’autre part, l’annexion de la Savoie et du comté de Nice avait rompu l’entente qui existait entre la France et l’Angleterre et l’armée était encore engagée dans des expéditions en Chine et en Cochinchine. Aussi dans son discours d’ouverture (1 er mars) l’empereur crut-il devoir aborder toutes les questions qui agitaient le public. A toutes il promit une solution prochaine. L’Italie était à la veille de se constituer librement, l’annexion de la Savoie n’infligeait pas un démenti à sa politique de désintéressement puisqu’elle ne donnerait lieu à aucune occupation militaire, mais serait réglée par les grandes puissances. Il fallait que les catholiques eussent étrangement oublié tous les services rendus pour manifester un mécontentement exagéré et sans motif plausible. Quant au traité de commerce, il avait pour but de faciliter la production, d’accroître par la vie à bon marché le bien-être de ceux qui travaillent et de multiplier nos rapports commerciaux. Ce discours oii M. de Morny vit l’indication d’une « ère nouvelle de paix, de progrès et de liberté » ne parut pas aussi satisfaisant aux députés. Ils manifestèrent dès les débuts de la session des velléités d’indépendance parlementaire qui ne laissèrent pas de surprendre grandement et d’inquiéter le gouvernement. Les élections partielles de 1859 et 1860 prêtèrent à des diatribes violentes contre la pression administrative. E. Picard se distingua par l’habileté de ses attaques. L’élection de M. de Laferrière dans l’Orne fut annulée à l’unanimité ; celle de M. de Dalmas dans l’Ule-et-Vilaine ne fut validée que par 123 voix contre 109. Le Corps législatif voulut aussi faire connaître son sentiment sur la question italienne et il profita du premier prétexte venu : le projet de loi réduisant à 100,0(10 hommes le contingent de la classe de 1839. Le gouvernement subit de véritables interpellations politiques. Le mouvement d’opinion était si puissant qu’il n’osa refuser la lutte en se retranchant derrière la constitution. Anatole Lemercier porta la parole au nom des catholiques et demanda qu’on protégeât efficacement l’autorité temporelle du saint-siège. Jules Favre critiqua la paix de Yillafranca qui avait laissé Venise à l’Autriche, quoique l’empereur eut promis aux Italiens l’indépendance complète. Il fallait donc pour que ses engagements fussent tenus que l’Italie fût libre jusqu’à l’Adriatique et que le pouvoir temporel du pape fût entièrement aboli. Le président du conseil d’Etat chercha à prouver qu’aucun intérêt n’avait été méconnu ni sacrifié, ni celui du pape ni celui de l’Italie. Mais en se bornant à cette conclusion vague que « l’empereur serait toujours un défenseur zélé et respectueux du pouvoir temporel du saint-père et qu’il saurait remplir à la fois ses devoirs de souverain et de catholique », M. Baroche ne satisfit personne (11-13 avr.). Bien plus ardents encore turent les débats relatifs au traité de commerce (28 avr. -2 mai), débals surtout théoriques puisque le gouvernement avait déjà tranché la question, et qui se produisirent encore d’une façon détournée, à propos d’une loi sur les cotons. M. de Flavigny osa dire : « Le système dans lequel on entre tend à déposséder la Chambre de ses droits qui sont la garantie du pays. Je ne puis donner mon assentiment à des dispositions qui déshéritent le Corps législatif de droits inscrits au frontispice de la constitution. » Même énergique protestation d’un député de l’extrême droite, Jérôme David. Emile OUivier élargit la discussion et reprocha aux protectionnistes de se plaindre si vivement de ce que le gouvernement avait lésé leurs droits alors qu’ils lui avaient aban-