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CORNEILLE

Mélite, dans la Veuve, dans la Galerie du Palais, dans Y Illusion comique :

L.V LINf.ÈItK, LE LIBli.MRE

LA I.INOHRK

ous avez fort la presse a. ce livro nouveau : 

m iut vous faire riche.

I.E LIBRAIRE

Ou le trouve si beau,

Que c’est pour mon profil le meilleur qui se voie ; Mais vous, que vous vendez de ces toiles de soie !... LA LINGÊRE

Devrai, bien que d’abord on en vendit fort peu, A présent, Dieu nous aime, on y court comme an l’eu. Je n’en saurais lournir autant qu’on m’en demande : Klle sied mieux aussi eue celle de Hollande, Découvre moins le fard dont un visage est peint, Ktdonne.ce me semble, un plus grand Lustre au teint. Je perds bien à gagner, de ceque ma boutique Pour être trop étroite empêche ma pratique : A peine y puis-je avoir deux chalands à la lois. On petit citer encore les vers, jadis justement célèbres en leur genre, de l’Illusion comique :

MATAMORE

Les feux que mon fer jette en sortant de prison, Auraient en un moment embrasé la maison, Dévoré tout a l’heure ardoises et gouttières, Faites, lattes, chevrons, montants, couches, litières, Entretoises, sommiers, colonnes, soliveaux, Pannes, soles, appuis, jambages, traveteaux. Portes, grilles, verrous, serrures, tuiles, pierre, Plomb, 1er, plâtre, ciment, peinture, marine, verre, Caves, puits, cours, perrons, salles, chambres, greniers, Offices, cabinets, terrasses, escaliers... Juge un peu quel désordre aux yeux de ma charmeuse. Le seul tort de ces comédies, à l’exception de la dernière, — qui est surtout une comédie des comédiens, — c’est de se ressembler un peu toutes entre elles, de rouler sur le même intérêt de galanterie banale, d’être assez compliquées et néanmoins assez faibles d’intrigue. Mais que l’on n’eut jamais encore vu jusque-là « de comédie qui fit rire sans personnages ridicules, tels que les valets bouffons, les parasites, les capitans, les docteurs », Corneille s’est rendu justice en s’en louant lui-même, et il a bien marqué là le caractère original et nouveau de sa Mt’lite ou de la Place lloyale. Pour la qualité de la plaisanterie, comme aussi par la condition des personnages, les comédies de la jeunesse de Corneille rappellent je ne sais quoi de la comédie de Térence ; ou, si l’on préfère un autre terme encore de comparaison, et à plus d’un égard, c’est déjà la comédie moyenne de Colin d’Harleville, d’Andiïeux... et d’Emile Augier : Gabrielle ou Philibefte. Il importait d’autant plus d’en faire l’observation, que Corneille n’a pas persévéré lui-même, et qu’on ne Ta pas d’ailleurs suivi dans la voie qu’il avait indiquée. Il ne faut pas lui faire tort d’une moitié de son génie, et, parce qu’il est l’auteur d’Horace et de Polyeucte, se le représenter comme une espèce de bonhomme sublime, héroïque et naïf, uniquement absorbé dans la contemplation des vérités morales. Il a été jeune, il a été « galant », il a fréquenté l’hôtel de Rambouillet, et quand ses premières comédies ne nous rappelleraient aujourd’hui que les goûts de sa jeunesse, elles mériteraient sans doute encore que l’on y regardât plus attentivement qu’on n’a fait.

Comment cependant de cette comédie de genre, moyenne et tempérée, s’il en fût, comment Corneille a-t-il passé à la tragédie ? Le succès éclatant delà Sophonisbe 4e Mairet y fut-il de quelque chose, comme on l’a si souvent répété ? Mais a-t-on bien fait attention que la Sophonisbe, étant de 1(>28, a peut-être précédé Mélitè même, et qu’ainsi l’explication n’éclaircit pas les choses, mais plutôt les embrouille ? Ne faut-il pas dire plutôt que depuis qu’il était devenu, en 1(>33, à la suite d’un séjour de la cour aux eaux de Forges, l’un des « cinq auteurs » que Richelieu employait à tourner les vers des pièces dont il leur donnait le plan, les entretiens du tout-puissant cardinal, qui touchait alors au comblé de sa fortune et de sa gloire, lui avaient vaguement fait entrevoir la grandeur de ces intérêts d’État dont il devait un jour faire l’âme de sa tragédie ? La conjecture n’en est pas improbable. On peut aussi supposer, si l’on veut, et tout simplement, qu’à mesure qu’il avançait en âge, Corneille, prenant de lui-même et de ce qu’il pouvait une conscience plus claire, se sentait destiné à quelque chose de mieux qu’à cette imitation légère des mœurs contemporaines où il s’était renfermé jusqu’alors.’ Que faul-il encore penser de la légende du Cid, et du conseil d’un M. de Châlon, ancien secrétaire des commandements de la reine mère, Marie do Médicis, qui aurait invité Corneille à quitter << le genre de comique qu’il avait embrassé » pour se tourner vers les Espagnols, et en particulier vers Cuillen de Castro ? S’il n’y a là rien d’impossible, nous ne saurions toutefois oublier quel était alors, entre 1630 et 1640, le pouvoir européen, si l’on peut ainsi dire, de la littérature espagnole. En vérité, Cervantes et son Don Quichotte étaient presque aussi populaires à Paris qu’à Madrid. Les auteurs dramatiques, Hardy, Mairet -, Rolrnu, usaient donné l’exemple de s’inspirer du roman ou du théâtre espagnols. Ajoutez qu’en les imitant, on courait la chance de plaire à une jeune reine, dont la faveur pouvait faire aisément la fortune d’un poète. Si M. de Châlon donna donc à Corneille le conseil d’étudier le théâtre espagnol, il est. permis de croire que Corneille y serait venu tôt ou lard de lui-même sans M. de Châlon’. Il v avait dans la nature de son génie des affinités secrètes avec le génie espagnol, et, chose assez curieuse à noter, quanti il imitera les Latins après les Espagnols, ce seront encore des Espagnols que ces Latins-là, puisque ce seront Sénèque et Lucain.

L’apparition du Cid, qui est des derniers jours de 1636 ou des premiers jours de 1037, est une date capitale dans l’histoire du théâtre français, non seulement pour la beauté propre et comme intrinsèque du sujet ; pour la querelle qu’il souleva dont le souvenir est demeuré mémorable ; et pour les conséquences enfin qui s’ensuivirent ; mais c’est une époque aussi dans l’histoire générale de la littérature européenne, et on nous permettra d’y insister ici. On n’ignore pas qu’il en est de Rodrigue comme de notre Roland : il a vécu et il a eu son rôle dans l’histoire, mais comme Roland pour nous, ou même plus que Roland pour nous, il est surtout pour les Espagnols un héros légendaire, en qui la poésie des anciens âges s’est complue de bonne heure à incarner son idéal même de la chevalerie. On s’en est étonné, et non pas sans raison. « Lui, l’exilé, qui passa les plus belles années de sa vie au service des rois arabes de Sàragosse... ; lui, l’aventurier dont les soldais appartenaient en grande partie à la lie de la société musulmane, et qui combattait en vrai soudard, tantôt pour le Christ, tantôt pour Mahomet..., lui, cet homme sans foi ni loi..., qui trompait Alphonse, les rois arabes, tout le monde, qui manquait aux capitulations et aux serments les plus solennels ; lui, qui brûlait ses prisonniers à petit feu, ou qui les faisait déchirer par ses dogues, comment est-il devenu ce héros ? et ce preux ? et ce modèle ou ce parangon de l’esprit chevaleresque ? » A cette question qu’il s’est posée lui-même, M. Reinhart Dozy, le savant auteur des Recherches sur l’histoire et la littérature de l’Espagne au moyen âgé (Leyde et Paris, 18(10), a répondu : premièrement, que l’idéal rude et barbare du moyen âge différait étrangement du nôtre ; et, en second lieu, qu’avant de devenir, non pas même celui de Corneille, mais celui de Guillen de Castro, le Cid de la réalité, le vrai Cid, avait subi dans sa personne et dans son caractère plus d’une transformation. Dans les plus anciennes romances, dans le Romancero du xii e siècle qui porte le titre de Cronica rimada, le Cid de la poésie ne diffère guère de celui de l’histoire : hautain, perfide , et cruel comme lui. Il a déjà quelque chose de plus noble et, sinon de plus poétique, au moins de plus conforme à l’idéal moderne, dans la Chanson du Cid, qu’on date habituellement des premières années du xiii" siècle. « Il y garde bien encore des traits de l’ancien Cid..., mais, au reste, c’est un tout autre homme » : chrétien fervent, sujet ou vassal fidèle, époux et père passionné. Enfin les poètes postérieurs, ceux du xv c et du