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COLONISATION

d’entraves et de frais. Cette réforme ayant eu d’heureux résultats, le gouvernement se sentit encouragé à faire quelque chose de plus. Jusqu’en 1748, l’Espagne^ n’avait eu de communication avec ses colonies que par le" moyen de ses caravanes annuelles, et depuis 1748 elle n’en avait que par les vaisseaux des particuliers. La rareté de ces correspondances était une source perpétuelle d’emharras pour le commerce aussi bien que pour l’Etat. En 1764, Charles III établit un service de paquebots partant de la Corogne tous les mois ou tous les deux mois à destination des différentes colonies d’Amérique. Cette extension de correspondance entraîna immédiatement une extension de commerce. Chacun des paquebots eut la faculté de faire pour l’Amérique une demi-cargaison de marchandises espagnoles et de rapporter au retour une égale quantité de produits américains. Ces premiers adoucissements aux lois exclusives qui pesaient sur le commerce du nouveau monde furent bientôt suivies d’une innovation de la plus haute importance. En 1765, Charles III permit à tousses sujets de trafiquer librement avec les colonies des Antilles. C’était le renversement de toutes les barrières dont l’Espagne s’était efforcée pendant deux siècles d’environner son commerce avec l’Amérique. Charles III n’en resta pas là. En 1778, il autorisa le libre trafic avec presque tous les pays de la vice-royauté du Mexique. La sagesse de ces mesures se manifesta immédiatement. En moins de dix ans, le commerce doubla avec la plupart des colonies appelées à bénéficier du nouveau régime et tripla avec les autres. — L’esprit de réforme qui avait conduit le gouvernement à transformer ainsi l’organisation économique de ses possessions devait forcément le conduire à modifier leur organisation politique. C’est ce qui arriva. Le Conseil des Indes, défenseur obstiné des vieilles traditions, fut annulé et remplacé par un « ministère des Indes » dont Charles III confia la direction à Galvès, l’un des hommes d’Etat les plus éclairés qu’ait eus l’Espagne au xvin e siècle. Galvès introduisit de grands changements dans l’administration intérieure des colonies et principalement dans leur organisation judiciaire (1776). Il restreignit le pouvoir exorbitant des vice-rois et opéra une nouvelle division des provinces. Déjà en 1739 aux deux anciennes vice-royautés du Mexique et du Pérou on avait ajouté celle de la Nouvelle-Grenade comprenant la Colombie et le Venezuela d’aujourd’hui, c.-à-d. tout le nord de l’Amérique méridionale, un quart environ de la vice-royauté du Pérou. Galvès y fit ajouter une quatrième vice-royauté , celle de Bucnos-Ayres, dont la juridiction s’étendit de l’embouchure du rio de la Plata jusqu’aux Andes, embrassant la République Argentine, le Paraguay et une partie de la Bolivie. En outre, huit provinces détachées des anciennes vice-royautés, furent érigées en capitaineries indépendantes, relevant directement de l’autorité métropolitaine. Ces huit capitaineries furent celles de Cuba, de Haïti, de Porto-Rico, de la Floride, delà Louisiane, du Nouveau-Mexique, du Guatemala, de Caracas et du Chili (1776). Cette nouvelle répartition des territoires fit disparaître la centralisation excessive qui avait existé jusque-là et assura aux colonies une meilleure administration.

— L’histoire des réformes économiques et politiques dont nous venons de parler renferme à peu près toute l’histoire de l’Amérique espagnole au xvm e siècle. Il faut pourtant ajouter que les possessions de l’Espagne subirent au cours de ce siècle quelques changements territoriaux, mais aucun de grande importance. En 1763, au traité de Paris, la Floride fut cédée à l’Angleterre, mais la France dédommagea l’Espagne de cette perte en lui faisant abandon, l’année suivante, de la partie ouest de la Louisiane dont elle était propriétaire. Quelques années après, un conflit s’éleva entre les cabinets de Madrid et. de Lisbonne au sujet de la colonie portugaise de San-Sacramento (Uruguay), qui, située à l’embouchure de la Plata, faisait un commerce de contrebande très actif avec les colonies espagnoles de cette région. Le conflit se termina en 1778 par la cession de l’Uruguay à l’Espagne en échange de quelques districts GRANDE ENCYCLOPÉDIE. — XI.

situés sur les confins du Paraguay et qui furent réunis au Brésil. L’Espagne obtint parla même occasion les îles F’ernando-Po et Annobon sur la côte d’Afrique. Ces îles lui procuraient deux petites stations bien placées pour la traite des noirs. En 1783, au traité de Versailles, l’Espagne rentra en possession de la Floride reconquise sur les Anglais en 1781. Plus tard, pendant les guerres de la Bévolution, elle céda à la France la partie orientale de Haïti (1795) et la partie ouest de la Louisiane (1801). Elle céda de même à l’Angleterre l’île de la Trinité (1802). Mais toutes ces additions ou soustractions de territoires ne modifiaient pas sensiblement son domaine.

Les colonies de l’Espagne au xix 1 ’ siècle. La Bévolution qui bouleversa l’Europe à la fin du xvui e siècle et au commencement du xix e devait avoir forcément son contrecoup dans l’Amérique espagnole. Aux environs de 1800, sous l’influence des idées que la France avait répandues dans le monde, les colonies commencèrent à s’agiter. D’un bout à l’autre du continent des voix s’élevèrent pour réclamer une transformation radicale du système politique et économique que la métropole faisait peser sur ses possessions. Les réformes tardant à venir, des soulèvements éclatèrent au Venezuela en 1806. Ils furent réprimés. Mais deux ans après, lorsque le roi Charles IV eut cédé sa couronne à Joseph Bonaparte, l’insurrection recommença. En 1810 elle devint générale ; presque tous les vice-rois et capitaines généraux furent chassés et remplacés par des gouvernements populaires. A ce moment les colonies ne songeaient nullement à se séparer de la mère-patrie. Au contraire, elles avaient épousé la querelle du peuple espagnol soulevé contre la domination française, et ne reconnaissaient comme lui d’autre souverain que le roi légitime, Ferdinand VIL Seulement elles entendaient profiter de la crise que traversait la péninsule pour s’affranchir à tout jamais du régime d’oppression qu’elles subissaient depuis Charles-Quint. La Constitution de 1812, élaborée parles Cortès de Cadix, leur octroya plus qu’elles ne demandaient. Elles obtinrent d’emblée l’entière égalité des droits avec la métropole. Dès lors , la révolte parut s’apaiser. Mais la restauration du gouvernement absolu après les événements de 1814 vint bientôt les replacer sous le joug dont elles s’étaient crues un moment délivrées. Aussitôt l’insurrection se ralluma et bientôt toute l’Amérique fut en feu. Cette fois les colonies ne combattaient plus seulement pour obtenir des réformes ; à l’exemple des Etats-Unis, elles voulaient conquérir leur indépendance. C’est en vain que Ferdinand VII essaya de les désarmer en leur accordant la liberté du commerce (1817), en leur promettant des améliorations, en reconstituant le ministère des Indes comme gage de ses intentions réformatrices (1818). Ces concessions arrivaient trop tard. En 1824, lestroupes métropolitaines, battues sur tous les points par les rebelles, étaient obligées d’évacuer les dernières positions qu’elles occupaient sur le continent. De toutes ses possessions américaines, l’Espagne ne conservait plus que Cuba et Porto-Rico. — Les pays insurgés étaient trop différents, séparés par trop d’obstacles naturels, pour se réunir comme autrefois les Etats-Unis en une seule confédération. Ils se fractionnèrent d’abord en six Etats qui furent le Mexique, la Colombie, le Pérou, le Chili, la République Argentine et le Paraguay. Des dissensions intestines amenèrent bientôt après un second fractionnement. Le Guatemala se sépara du Mexique, pour se subdiviser ensuite lui-même en cinq républiques :

Guatemala, San-SaUador, Honduras, Nicaragua et 

Costa-Rica (1824). La Colombie à son tour se partagea en trois tronçons : Colombie, Equateur et Venezuela (1830). Pareil événement se produisit au Pérou, ou un Etat particulier se forma sous le nom de Bolivie (1825). Enfin, dans la République argentine, l’Uruguay s’érigea en nation indépendante (1 81 7-1 828). — Les colonies des Antilles n’étaient pas restées indifférentes à la révolution qui s’accomplissait sur le continent. A plusieurs reprises, il s’y produisit des tentatives insurrectionnelles. Mais la métropole parvint tant bien que 69