Page:Lamirault - La Grande encyclopédie, inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts, tome 07.djvu/604

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
BOUDDHISME
- 588 -

BOUDDHISME. Nom du système religieux dont le Bouddha est à la fois le fondateur et le point central. Ce système, né dans l’Inde, propagé au dehors avec beaucoup de zèle et de succès, n’existe plus aujourd’hui dans son pays d’origine, mais il est encore florissant dans l’Asie centrale et orientale, au Tibet et en Mongolie, en Chine et au Japon, à Ceylan et dans l’Indo-Chine ; en sorte que l’on peut distinguer les bouddhismes tibétain, mongol, chinois, japonais, cambodgien, siamois, birman, singhalais. Néanmoins le Tibet, au Nord, et l’île de Ceylan, au Sud, sont habituellement considérés comme les deux centres principaux de cette religion. De là vient qu’on divise le bouddhisme en deux grandes branches, celle du Nord et celle du Sud ; division fondée, non seulement sur la situation géographique, mais aussi sur la différence des canons sacrés, sur celle des croyances, des pratiques et des institutions, et qui, néanmoins, n’est exacte qu’à la condition d’y apporter certains tempéraments et d’y introduire des subdivisions, ainsi que nous le ferons voir. — Pour mettre de l’ordre dans l’exposé de ce vaste sujet, nous commencerons par tracer un historique du bouddhisme en général ; nous ferons connaître ensuite sa doctrine, puis sa morale et ses instihdions ; finalement, nous dirons un mot de la forme particulière et quasi nationale qu’il revêt dans chaque pays.

I. Historique. — Le bouddhisme ne fut à l’origine qu’une simple confrérie de moines, un ordre mendiant ; on peut même avancer qu’il est toujours resté tel, et que, aujourd’hui encore, il n’est pas autre chose. La vie du Bouddha Sâkyamouni est l’histoire même de la fondation de cette société ; elle nous montre sept écoles rivales se disputant la faveur publique dans l’Inde centrale ; la septième, celle de Gotama Sâkyamouni, la plus récente de toutes, peut-être même détachée de l’une des six autres, y est dépeinte comme celle qui avait le plus de succès ; et la suite des événements prouva en effet sa supériorité.

Premier concile. Après la mort du fondateur, Kâsyapa, un de ses disciples, fut nommé chef de la confrérie qui tint immédiatement des réunions spéciales dans la grotte de Sattapanni, au mont Vebhara, une des hauteurs voisines de Râdjagriha (en Magadha), pour arrêter le texte des enseignements du maître décédé. Kâsyapa posait les questions tant sur la « discipline » que sur la « doctrine » ; Oupâli répondait sur la première, Ananda sur la seconde. En même temps qu’on prenait des décisions, on rappelait les circonstances dans lesquelles le Bouddha avait parlé. Toute l’assistance, composée de cinq cents personnes, répétait les réponses en chantant et les apprenait ainsi par cœur. Ces exercices durèrent sept mois ; ils forment ce que l’on appelle le « premier concile bouddhique ». Le bouddhisme y fut véritablement constitué ; sa doctrine et sa discipline y furent fixées ; la conservation de l’une et de l’autre fut garantie par une forte organisation et des exercices réguliers. Le canon se divisait dès lors, à ce que l’on assure, en neuf parties : Soùtra (aphorismes), Gueya (chant), Veyyâkaranam (explication), Gâthâ (stances), Oudâna (éloge), Itivrittaka (citation ou narration), Djâtaka (histoire des existences antérieures), Adbhouta (prodiges), Vedalya (développements). On trouve là les éléments du canon bouddhique actuel ; mais il est impossible d’admettre que ce canon ait été dès ce temps là ce qu’il est aujourd’hui.

Patriarchat. À la mort d’Oupâli, Ananda le remplaça. Après lui, Sanavâsika, Oupagoupta, Dhitika, Kâla, Soudarsana furent successivement les chefs de la confrérie ; leur pontificat paraît occuper les cent dix années qui suivirent la mort du Bouddha, années de paix et de concorde, assure-t-on, pendant lesquelles la confrérie vécut dans une parfaite union, et dans un calme inaltérable, sans même songer à la propagande extérieure. Cependant, si nous en croyons les bouddhistes du Nord, dans cette même période, à la mort d’Ananda, Madhyantika aurait porté le bouddhisme


au Cachemire. Mais les bouddhistes du Sud placent cet événement un siècle et demi plus tard ; et, bien qu’un acte de propagande dans un pays aussi voisin, dès les premiers temps du bouddhisme, n’ait rien d’improbable, la critique n’admet pas cette conversion si prompte du Cachemire au bouddhisme. Il est à noter que les chefs de la société bouddhique énumérés ci-dessus sont cités seulement par les bouddhistes du Nord ; ceux du Sud semblent les ignorer, ils mettent d’autres noms en avant, ceux de Dâsaka, de Sonaka, sans indiquer une suite de chefs bien déterminée. Mais les bouddhistes du Nord vont plus loin, ils continuent leur liste des chefs ou des « patriarches » (c’est ainsi qu’on les appelle) jusqu’à la fin du Ve siècle de notre ère, et en comptent vingt-huit parmi lesquels on distingue le nom célèbre d’Asvagocha ; le dernier de ces « patriarches » appelé Bodhidharma aurait quitté l’Inde et serait venu mourir en Chine en 495 de notre ère. L’existence d’un patriarchat réel jusqu’à cette époque n’est guère admissible ; une pareille institution a bien pu se soutenir tant qu’a duré l’union de la confrérie, c.-à-d. dans les cent dix premières années. Mais dès que le schisme eut éclaté, elle a dû disparaître ou devenir purement nominale. La liste des patriarches n’en existe pas moins, et même les Chinois, ne se contentant pas des vingt-huit patriarches hindous, en ajoutent sept qui leur appartiennent, sont nés et ont vécu en Chine. Le nombre total des patriarches se trouve ainsi porté à trente-cinq.

Schisme ; deuxième concile. C’est un peu plus d’un siècle après le Nirvana (mort du Bouddha) que la société bouddhique se divisa à propos de dix tolérances réclamées par une partie des membres de la confrérie. Ces dix tolérances sont formulées dans les textes les plus anciens en termes laconiques dont Tinterprétation assez difficile a donné lieu à quelques divergences. Mais l’esprit qui les a inspirées n’est pas douteux, et comme elles impliquaient le droit de conserver le sel, d’absorber certains breuvages, de recevoir de l’or et de l’argent, de prendre en un mot certaines libertés, il est clair que ces tolérances, dont plusieurs peuvent paraître futiles, tendaient à un adoucissement, ou mieux, à un relâchement de la discipline. Sur la proposition de Yasas et de quelques autres docteurs, 700 arhats (1,200 selon certains documents) se transportèrent à Vaisâli où ces atteintes avaient été portées à la discipline, et, après une session de huit mois, présidée par Revata, dans l’ancienne résidence du Bouddha, le Koùtâgâra (maison à étages), les dix propositions nouvelles furent condamnées. C’est cette réunion qu’on appelle le deuxième Concile bouddhique ; elle fut tenue en l’an i 10 du Nirvana sous le règne du premier Asoka Kâla-Asoka (Asoka le Noir). Comme on pouvait s’y attendre, la minorité ne se tint pas pour battue ; elle opposa concile à concile, convoqua ses partisans et approuva les dix propositions condamnées à Vaisâli. Le schisme était consommé ; les novateurs firent bande à part, et le nom de Mahâsamghuikâ (ceux de la grande assemblée) qu’ils prirent ou qui leur fut donné, dit assez qu’ils étaient les plus nombreux. Leurs adversaires, qui étaient les orthodoxes, furent désignés comme les theras les « vieux » ou les « anciens ».

Ecoles bouddhiques. Une fois entré dans la confrérie bouddhique, le schisme alla se développant et s’aggravant. Les hérétiques Mahâsamghuikâs se divisèrent en trois sectes, dont l’une se fractionna en deux, et formèrent en tout cinq écoles. La contagion gagna les orthodoxes qui se partagèrent en deux écoles principales dont l’une (les Vatsipouttakas) forma quatre écoles secondaires et l’autre se partagea en trois avec deux subdivisions. Bref, à la fin du ii« siècle après le Nirvana, on comptait dix-sept écoles plus ou moins hérétiques, ayant chacune leur nom, tiré quelquefois de leur enseignement, plus souvent de leur résidence ou du nom de leur fondateur. On les accuse en bloc d’avoir faussé l’interprétation des textes, d’en avoir changé l’ordre, d’en avoir supprimé ou altéré certains passages, d’y avoir introduit des incorrections et