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ont réfléchi sur l’influence du langage, sur la pensée, devront concevoir combien des hommes qui parlent un langage différent, enclins à penser différemment ; et ceux qui sont familiers avec la littérature française savent que la même opinion sera exprimée par un auteur anglais et un auteur français contemporain, non seulement dans des termes différents, mais dans un style ni dissemblable qu’il indiquera une manière de voir et de penser différente. Cette disparité est très frappante dans le Bas-Canada ; elle n’existe pas seulement dans les livres les plus en réputation qui, comme de raison, sont ceux des grands écrivains de France et d’Angleterre et lesquels servent à former l’esprit des races respectives, mais peut s’observer dans les écrits que publie journellement la presse coloniale. Les articles des Gazettes de l’une ou de l’autre race sont écrits dans un style aussi différent que celui des journalistes de France et d’Angleterre l’est à présent, et les argumens qui portent la conviction dans l’esprit des uns paraissent entièrement inintelligibles à celui des autres.

La différence du langage produit encore des malentendus plus funestes encore que ceux qu’elle produit par rapport aux opinions ; de là résulte l’accroissement d’animosités nationales, fruit des fausses représentations des événements de chaque jour, peinte sous des couleurs toutes différentes. Les fausses expositions des faits politiques sont un des inconvéniens de la liberté de la presse dans un pays libre ; mais chez une nation où l’on parle un même langage ceux qui reçoivent le mensonge d’un côté ont généralement le moyen d’apprendre la vérité de l’autre. Dans le Bas-Canada où les papiers anglais et français sont l’organe d’opinions opposées et où il n’y a que peu de personnes qui puissent avec facilité lire les deux langues, ceux auxquels on adresse le mensonge sont rarement en état de profiter du moyen de le corriger. Il est difficile d’imaginer la perversité avec laquelle on distribue habituellement les fausses représentations et les erreurs grossières auxquelles, on donne cours parmi le peuple ; c’est ainsi qu’ils vivent dans un monde de fallacieuses représentations où chaque parti est en arrêt contre l’autre, non seulement par la diversité des sentiments et des opinions, mais par la croyance qu’ils mettent dans une série de faits entièrement opposés.

Les différences qui résultent d’abord de la différence de l’éducation et du langage ne sont nullement adoucies, par les rapporta de la vie civile ; les affaires et les occupations ne produisent point entre les deux races des relations d’amitié et de coopérations, mais ne les placent face à face que dans une attitude de rivalité. Une