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LE MANDARIN.

donne à l’artiste l’orgueil du moi, la foi absolue dans sa destinée. Tout ce qui révèle le génie à lui-même sera étouffé au début, et l’étincelle sacrée s’éteindra !

Déjà chacun de nous rejette avec ironie cette sublime bêtise de l’art pour l’art dont nous avions fait un principe.

L’homme, lancé tous les matins sur la société par sa famille, est tenu de rapporter au logis le nécessaire et le superflu. L’artiste lui-même voit son cœur envahi par les besoins matériels ; il résiste en vain : l’art est toujours vaincu, car il faut réussir ! Il faut devenir un être social, une utilité ! comme disent les faiseurs de mots. Si vous êtes poète, viendrez-vous chanter de tels artistes ? Non ! vous gémirez sur vos propres douleurs, et la foule vous criera que la mélancolie est passée de mode. Poètes, vous ferez alors ce qu’ont fait les artistes, vous vous crèverez les yeux afin de voir aussi mal que la foule ; vous rejetterez vos belles aspirations, et la foule, qui prend pitié des aveugles, jettera des gros sous dans votre réduit.