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Lui. — Mais peut-être aussi que j’en ai trop, monsieur, et que ça n’est pas bien d’aimer autant tout ce que j’aime presque autant que mon prochain.

Moi. — Et qui aimez-vous donc tant après Dieu et les hommes, que nous ne saurions trop aimer ?

Lui. — Je n’oserai jamais vous le dire, et c’est pourtant comme ça.

Moi. — Dites hardiment. Trop aimer est bien rarement un mal devant Dieu. Il n’y a pas de vase assez plein quand il n’en tombe pas quelques gouttes à terre.

Lui. — Eh bien ! oui, monsieur, quand j’ai bien aimé et bien servi, selon mes forces, le bon Dieu et les hommes, oserai-je vous le confesser ? je me sens une tendresse bête, mais une tendresse que je ne puis pas vaincre, pour tout le reste de la création, surtout pour toutes ces créatures animées d’une autre espèce, qui vivent à côté de nous sur la terre, qui voient le même soleil, qui respirent le même air, qui boivent la même eau, qui sont formées de la même chair sous d’autres formes, et qui paraissent vraiment des membres moins parfaits, moins bien