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Lui. — Ah ! monsieur, vous vous êtes bien trompé, je n’ai pas seulement un mot sur la langue. Je reste quelquefois une semaine entière sans rien dire, bien au contraire. Le bon Dieu aurait aussi bien fait de me faire muet ; car, excepté pour appeler mes chèvres, mes moutons et mon chien par leurs noms, je n’ai jamais senti le besoin de parler.

Moi. — Il y a des âmes si pleines de pensées et de sentiments qu’elles ne peuvent les répandre. Peut-être que la vôtre est ainsi.

Lui. — Oh je ne crois pas, monsieur ; je ne dis rien parce que je n’ai rien à dire. C’est même pour cela en partie que je ne descends pas demeurer en bas avec les autres. Je me dis : Que ferais-tu là-bas ? Tu ne sais pas répondre seulement quand les enfants te regardent travailler et te demandent le nom de tes outils.

Moi. — Mais alors quelque chose parle donc en vous quand vous faites silence ? car enfin Dieu a donné à toute âme le besoin de se communiquer, le besoin d’écouter ou de répondre, comme il a donné a l’air, à l’eau, à la flamme, le besoin de se mouvoir,