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de la vie de tes camarades. Cela m’a frappé comme un éclat de pierre qu’on m’aurait lancé sur la tête, monsieur. J’ai jeté mon morceau de pain, j’ai mis mon pic, ma têtue, ma boucharde dans mon sac, et je me suis sauvé à la maison comme si j’avais fait quelque mauvaise action. Avais-je donc tort, monsieur, de penser à mes pauvres camarades mariés ? et n’était-ce pas leur pain que je mangeais ?

Moi. — Non, Claude, vous n’aviez pas tort ; vous raisonniez droit, vous sentiez juste, et je vous pardonne bien volontiers. Mais dites-moi donc aussi qui est-ce qui a rendu votre raison si éclairée et votre conscience si délicate, que vos devoirs de justice et de charité envers le prochain l’emportent toujours ainsi sur votre intérêt envers vous-même, et que vous pensiez aux autres avant de penser à vous ?

Lui. — Je ne sais pas monsieur ; je pense que c’est le bon Dieu qui m’a fait comme ça.

Moi. — Vous avez donc étudié dans votre enfance et appris votre religion chez quelque curé du voisinage, parent de votre famille, ou dans quelque séminaire, d’où ces idées sur Dieu sur le prochain