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— Oui, ajouta-t-il, il n’y a que lui qui sache combien de temps j’emploierai à tirer les pierres de la carrière, à les tailler et à les polir. Quand elles seront faites, je compterai ce qu’il me faudra juste pour ma nourriture, rien pour ma peine, monsieur ; car la peine, ce n’est pas l’homme, c’est Dieu qui l’impose et qui la paye. Vous, dans votre chambre, sur votre cheval ou avec vos livres, sous ces arbres à l’ombre, vous en aurez eu peut-être plus que moi.

Ces paroles, dites sans apprêt et coulant tout naturellement de ses lèvres comme la respiration, avec un accent non de défi, de suprématie et d’insolence, mais avec l’accent de la simplicité et même de la compassion, me frappèrent. Je ne cherchai point à le heurter en résistant, ni à lier prématurément avec lui une conversation dont il aurait pu se défier. Je ne montrai sur mon visage ni étonnement ni peine.

— Eh bien, dis-je au père Litaud, conduisez-le à la carrière, et mettez-le à l’ouvrage. Je rentrai.

Une demi-heure après, j’entendais de ma fenêtre les coups retentissants du pic, et les chutes sourdes des blocs de pierre qui roulaient du haut de la carrière dans le fond du ravin.

Je repartis le soir de Saint-Point.