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ment était le plus fort, des fois l’espérance l’emportait, et, malgré tout, je remontais le soir aux Huttes un peu réconforté.

Mais l’état de Gratien chassait mon espoir. Il maigrissait à vue d’œil, et tout son pauvre corps dépérissait ; les soins de Denise n’y pouvaient rien. Je vis bien alors, malgré mon envie, que ce n’était pas le corps seul qui était malade, mais que le mal était surtout au cœur.

La fièvre empirait toujours ; elle revenait le reprendre toutes les nuits avec plus de force et le rejeter dans le délire. Gratien se remettait alors à appeler Denise, toujours Denise. Et moi, je pleurais auprès de notre pauvre aveugle comme toute la maison, et je me disais tout bas bien tristement : Il faudra donc lui faire le sacrifice.

Je restai deux mois ainsi combattu par mon chagrin et par mon devoir, résigné un jour, découragé le lendemain, et ne pouvant prendre sur moi de renoncer à Denise. Ma mère avait beau me supplier chaque jour, je cédais un moment, attendri par ses larmes et le mal de Gratien, puis je résistais. J’avais beau prier le bon Dieu, rien n’y faisait. Je ne travaillais plus, et je demeurais dans la carrière les