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Et Gratien détournait son visage de la petite pour qu’elle ne vît pas de grosses larmes qui roulaient de ses yeux sans lumière sur ses joues. La petite elle-même devenait toute triste de la tristesse de son ami Gratien mais elle était obligée de le quitter aussi pour aller mener les chèvres aux bruyères, parce que Denise n’avait plus ni le temps ni le goût d’y aller comme autrefois. Qu’est-ce que dirait le monde, si on voyait une grande belle fille comme elle, prête à se fiancer, garder les cabris toute la journée, assise sur une roche en filant sa quenouille ? C’était bon quand elle était enfant et quand elle serait vieille. Le monde, pour elle, c’était moi. Elle aurait été humiliée a mes yeux. Elle ne faisait plus que des ouvrages de ferme, depuis qu’elle se croyait déjà la femme de son cousin. Elle était si pleine de son attachement pour eux, qu’involontairement elle oubliait un peu l’œuvre. Mais aussi, monsieur, il faut bien m’en confesser, je ne voyais plus que Denise dans mes yeux, dans mon cœur, dans mes rêves la nuit, dans mon travail le jour, dans moi et hors de moi. Il me semblait que le monde tout entier, ciel et terre, était en moi avec elle, et que hors d’elle et de moi il n’y avait plus rien de vivant.