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XII.

Pourtant je partis le lendemain comme je l’avais dit, et, en passant dans la cour, sous le volet de Denise, je lui criai : Adieu, Denise mais rien ne me répondit. Je me dis : Il faut que je l’aie bien offensée, pour qu’elle me laisse partir ainsi sans seulement me souhaiter bon voyage. Les pieds me collaient à terre sous sa fenêtre, comme si les clous de mes souliers avaient été enfoncés dans le rocher. À la fin, je descendis pourtant par le sentier, lentement, sans me retourner, de peur d’être tenté de revenir, les jambes me flageolant sous moi comme sous un homme qui a bu. Hélas je n’avais pourtant bu que mes larmes toute la nuit. J’avais un brouillard sur les yeux ; je marchais comme à tâtons ; la terre me manquait sous moi on aurait dit que c’était nuit. Pourtant les dernières petites étoiles, qui se sauvent du jour dans le fond du ciel, comme les baigneuses s’enfoncent dans l’eau de peur d’être vues, s’enfonçaient derrière les sapins de la montagne ; et le soleil, qu’on ne voyait pas encore, nous voyait déjà pardessus le mont Blanc.