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vaste pays pendant cinq ou six siècles. Ils enfonceront leurs racines dans cette terre, ils perceront le roc pour aller puiser leur nourriture, ils donneront des feuilles et de l’ombre sur la place que je choisis pour ceux, après que l’ombre de mon propre corps et l’ombre de vingt ou trente suites d’hommes sortis de moi aura été balayée de dessus terre, comme ces feuilles, à leurs pieds, sont balayées par le vent de novembre. Mais qu’est-ce que cela en comparaison de la durée que le tailleur de pierre donne à son idée en levant et en baissant son maillet sur son ciseau ? Se dire : Ce coup de ma boucharde restera marqué sur ce granit tant que la montagne ne sera pas fondue elle-même au feu du dernier jour de la terre ; cette moulure que je creuse ou que je relève en relief avec mon ciseau, cette forme que je donne, selon mon caprice, à la pierre, ne s’useront, ne s’effaceront, ne se déplieront jamais tant que le monde sera monde ; l’impression de ma volonté et de ma main, c’est l’éternité ! Ceux qui ne seront pas nés dans mille ans, en voyant cette corniche, cette nervure, cette membrure, ce socle, cette colonne, ce réservoir sous la fontaine, où l’eau bouillonne éternellement, se diront : Qui est-ce qui a fait cela ? Dieu