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Excepté eux, quand je voyais passer quelqu’un au bord de mon chantier, je me mettais à siffler pour qu’il ne me parlât pas, et quand une fille dans la montagne prenait un sentier pour venir vers moi, j’en prenais un autre. J’étais aussi sauvage que Denise. Dans le pays d’en bas, on nous appelait, par moquerie, elle la chevrette, moi le chevreuil. Le nom nous en resta longtemps. Pourtant jamais Denise et moi nous ne disions un mot plus haut que l’autre ni plus bas. Je la laissais toujours avec mon frère, par pitié pour son malheur. Quand j’allais aux champs, aux bois, aux genêts, au lavoir des moutons avec eux, c’était toujours à lui qu’elle parlait, jamais à moi. Elle aurait eu du chagrin s’il avait été jaloux d’une de ses attentions ou de ses paroles pour un autre. Elle avait l’air bien aise et elle rougissait tant soit peu quand je revenais les samedis soir et que je lui disais : Bonjour, Denise. Mais passé cela, elle allait et venait comme à l’ordinaire dans la maison, dans la cour, autour de mon frère. Elle n’avait pas un mot ou un son de voix de plus pour moi que pour un autre au contraire, elle tremblait plutôt un peu quand elle me répondait, comme si elle n’avait pas eu autant d’amitié ou de