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encore à nous dans deux ans ? C’est pourtant le père de mon grand-père qui l’a élevé, et il donne tous les deux ans plus que la charge d’un mulet de châtaignes. Elle nous disait, en semant l’enclos de maïs ou de pommes de terre : « Qui sait si ce sera nous qui le récolterons ? Il a pourtant bien bu de la sueur de votre pauvre père et de la mienne depuis l’année de notre mariage ! Et, si chacun reprenait ce qui est a soi dans la terre qu’on a cultivée quarante étés et quarante automnes, il y a bien de ces mottes de terre qui reviendraient à ceux qui les ont retournées comme on retourne son propre lit. » Elle nous disait, en s’asseyant le dimanche près de la source que vous voyez là, dans le cresson, sous la pierre en voûte : « Qui sait si elle coulera le printemps qui vient du côté de notre pré ou du côté du pré des autres ? C’est pourtant votre père qui l’a trouvée un jour en creusant un trou en terre pour y planter un frêne, qui a bâti ce bassin pour l’appeler et la retenir, afin que le bétail y pût aller boire en rentrant des genêts, et qui lui a creusé ces rigoles où elle s’en va comme d’une écumoire se répandre sur toute la pente du verger et se perdre là-bas, dans le creux, parmi les osiers et les joncs. »