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pendant qu’elle montait aux prés devant lui en filant sa quenouille et en le guidant de la voix ou de la main pour qu’il ne manquât pas le pont de planches ou le gué du ruisseau. Elle lui mettait alors le bout de son tablier dans la main, comme une vraie mère fait à ses petits enfants avant qu’ils marchent seuls. Quand on travaillait la terre avant les semailles, elle lui donnait une pioche et le plaçait au bas du champ, à côté d’elle, pour qu’il crût faire aussi son petit ouvrage avec les autres. Et quand il allait trop à droite ou à gauche dans son ornière, elle le prenait doucement par le coude et le remettait en ligne avec nous. Et, si cette partie du champ était mal retournée, s’il y laissait involontairement des mottes d’herbe ou des pierres, elle ne lui en disait rien, pour ne pas l’affliger, et le lendemain elle repassait elle-même l’ouvrage de mon frère. Au contraire même de lui dire que son travail ne servait à rien, elle l’encourageait comme si c’eût été un bon ouvrier ; elle lui disait : Entre ton ouvrage et le mien, il n’y a pas de différence, Gratien. Et elle ne mentait pas, monsieur, car c’était bien elle qui faisait pour les deux.