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de liards que j’avais gagnés et le peu de pain que j’avais épargné dans la semaine. Ma mère m’embrassait et me disait Quel malheur que tu n’aies pas les bras ! car tu as le cœur de ton père ! J’allais aux champs avec Denise et Gratien, pendant qu’elle berçait notre petite sœur ou qu’elle faisait les gaufres de sarrasin pour le souper du dimanche. Ça dura comme ça trois ou quatre ans. Je devenais fort, les pierres m’obéissaient comme des mottes de foin. Je ne me contentais plus d’en tirer des carrières pour les murs je commençais à en tailler à mon idée pour les portes et pour les fenêtres, à la boucharde et à vive arête, et même j’y marquais quelquefois, en façon de bas-relief, une rose ou une tulipe avec leurs tiges et leurs feuilles ouvertes, une poule un coq, un chat ou un chien, selon que la pierre était destinée au jardin, à l’étable, au poulailler, à la cour ou à la chambre de la maison. C’est un bon maître que la faim, monsieur, et surtout la faim de sa mère, de ses frères et de ses sœurs. Je n’en ai jamais eu d’autres, et pourtant allez voir ici ou là, dans le pays, on vous dira encore : Qui est-ce qui a taillé cette porte de grange ou cette lucarne de pigeonnier ? C’est le petit Claude