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déjà contracté dans son âme toute la petitesse et toute la vanité des pensées de cour. Le génie fait pitié quand on le voit aux prises avec l’impossible. Mirabeau était le plus fort des hommes de son temps ; mais le plus grand des hommes se débattant contre un élément en fureur ne paraît plus qu’un insensé. La chute n’est majestueuse que quand on tombe avec sa vertu.

Les poëtes disent que les nuages prennent la forme des pays qu’ils ont traversés, et se moulant sur les vallées, sur les plaines ou sur les montagnes, en gardent l’empreinte et la promènent dans les cieux. C’est l’image de certains hommes dont le génie pour ainsi dire collectif se modèle sur leur époque et incarne en eux toute l’individualité d’une nation. Mirabeau était un de ces hommes. Il n’inventa pas la révolution, il la manifesta. Sans lui elle serait restée peut-être à l’état d’idée et de tendance. Il naquit, et elle prit en lui la forme, la passion, le langage qui font dire à la foule en voyant une chose : « La voilà. »

Il était né gentilhomme, d’une famille antique, réfugiée et établie en Provence, mais originaire d’Italie. La souche était toscane. Cette famille était de celles que Florence avait rejetées de son sein dans les orages de sa liberté, et dont le Dante reproche en vers si âpres l’exil et la persécution à sa patrie. Le sang de Machiavel et le génie remuant des républiques italiennes se retrouvaient dans tous les individus de cette race. Les proportions de leurs âmes sont au-dessus de leur destinée. Vices, passions, vertus, tout y est hors de ligne. Les femmes y sont angéliques ou perverses, les hommes sublimes ou dépravés, la langue même y est accentuée et grandiose comme les caractères. Il y a dans leurs correspondances les plus familières la co-