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une véritable dictature de l’opinion. Comme orateur il comptait peu ; sa parole molle, quoique spirituelle et fine, n’avait rien de ce coup ferme et électrique qui frappe l’esprit, vibre au cœur et communique son contre-coup aux hommes rassemblés. Élégante comme une parole de salon, et embarrassée dans les circonlocutions d’une intelligence diplomatique, il parlait de liberté dans une langue de cour. Le seul acte parlementaire de M. de La Fayette fut la proclamation des droits de l’homme, qu’il fit adopter par l’Assemblée nationale. Ce décalogue de l’homme libre, retrouvé dans les forêts d’Amérique, contenait plus de phrases métaphysiques que de vraie politique. Il s’appliquait aussi mal à une vieille société, que la nudité du sauvage aux besoins compliqués de l’homme civilisé. Mais il avait le mérite de mettre un moment l’homme à nu, et, en lui montrant ce qui était lui et ce qui n’était pas lui, de rechercher, dans le préjugé, l’idéal vrai de ses devoirs et de ses droits. C’était le cri de révolte de la nature contre toutes les tyrannies. Ce cri devait faire écrouler un vieux monde usé de servitude et en faire palpiter un nouveau. L’honneur de La Fayette fut de l’avoir proféré.

La fédération de 1790 fut l’apogée de M. de La Fayette ; il effaça, ce jour-là, le roi et l’Assemblée. La nation armée et pensante était là en personne, et il la commandait : il pouvait tout, il ne tenta rien. Son malheur était celui de sa situation. Homme de transition, sa vie passa entre deux idées ; s’il en eût eu une seule, il eût été maître des destinées de son pays. La monarchie absolue ou la république étaient également dans sa main ; il n’avait qu’à l’ouvrir tout entière ; il ne l’ouvrit qu’à moitié, et il n’en sortit qu’une demi-liberté. En passionnant son pays pour la république,