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pas une constitution, elle était une vengeance du peuple contre la monarchie, le trône ne subsistant que pour tenir la place d’un pouvoir unique que l’on instituait partout et qu’on n’osait pas encore nommer. Le peuple, les partis tremblaient, en enlevant le trône, de découvrir un abîme où la nation serait engloutie ; il était tacitement convenu de le respecter pour la forme, en dépouillant et en outrageant tous les jours l’infortuné monarque qu’on y tenait enchaîné. Les choses en étaient à ce point où elles n’ont plus d’autre dénoûment qu’une chute. L’armée, sans discipline, n’ajoutait qu’un élément de plus à la fermentation populaire ; abandonnée de ses officiers, qui émigraient en masse, les sous-officiers s’en emparaient et transportaient la démocratie dans ses rangs ; affiliés, dans toutes les garnisons, au club des Jacobins, ils y prenaient le mot d’ordre et faisaient de leur troupe les soldats de l’anarchie et les complices des factieux. Le peuple, à qui on avait jeté en proie les droits féodaux de la noblesse et les dîmes du clergé, craignait de se voir arracher ce qu’il possédait avec inquiétude, et voyait partout des complots ; il les prévenait par des crimes. Le régime soudain de liberté, auquel il n’était pas préparé, l’agitait sans le fortifier ; il montrait tous les vices des affranchis sans avoir encore les vertus de l’homme libre. La France entière n’était qu’une sédition, l’anarchie gouvernait ; et, pour qu’elle fût pour ainsi dire gouvernée elle-même, elle avait créé son gouvernement dans autant de clubs qu’il y avait de grandes municipalités dans le royaume.

Le club dominant était celui des Jacobins ; ce club était la centralisation de l’anarchie. Aussitôt qu’une volonté puissante et passionnée remue une nation, cette volonté