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le commandement des mulâtres ou hommes de couleur. Les hommes de couleur, race intermédiaire issue du commerce des colons blancs avec les esclaves noires, n’étaient point esclaves, mais ils n’étaient pas citoyens. C’était une sorte d’affranchis ayant les défauts et les vertus des deux races : l’orgueil des blancs, la dégradation des noirs ; race flottante qui, en se portant tour à tour du côté des esclaves ou du côté des maîtres, devait produire ces oscillations terribles qui amènent inévitablement le renversement d’une société.

Les mulâtres qui possédaient eux-mêmes des esclaves avaient commencé par faire cause commune avec les colons, et par s’opposer avec plus d’inflexibilité que les blancs à l’émancipation des noirs. Plus ils étaient près de l’esclavage, plus ils défendaient avec passion leur part de tyrannie. L’homme est ainsi fait : nul n’est plus porté à abuser de son droit que celui qui vient à peine de le conquérir ; il n’y a pas de pires tyrans que les esclaves, ni d’hommes plus superbes que les parvenus.

Les hommes de couleur avaient tous ces vices de parvenus à la liberté. Mais quand ils s’aperçurent que les blancs les méprisaient comme une race mêlée, que la Révolution n’avait point effacé les nuances de la peau et les préjugés injurieux qui s’attachaient à leur couleur ; quand ils réclamèrent en vain pour eux l’exercice des droits civiques que les colons leur contestaient, ils passèrent avec la légèreté et la fougue de leur caractère d’une passion à une autre, d’un parti à l’autre, et ils firent cause commune avec la race opprimée. Leur habitude du commandement, leur fortune, leurs lumières, leur énergie, leur audace, les appelaient naturellement à devenir les chefs des noirs. Ils fra-