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et servile. Les sophistes n’ont jamais manqué aux tyrans. D’un autre côté, les hommes pieux envers leurs semblables, qui avaient, comme Grégoire, Raynal, Barnave, Brissot, Condorcet, La Fayette, embrassé la cause de l’humanité et formé la Société des amis des noirs, lançaient leurs principes sur les colonies comme une vengeance plutôt que comme une justice. Ces principes éclataient sans préparation et sans prévoyance dans cette société coloniale, où la vérité n’avait d’autre organe que l’insurrection. La philosophie proclame les principes, la politique les administre ; les amis des noirs s’étaient contentés de les proclamer. La France n’avait pas le courage de déposséder et d’indemniser ses colons ; elle avait conquis la liberté pour elle seule ; elle ajournait, comme elle ajourne encore au moment où j’écris ces lignes, la réparation du crime de l’esclavage dans ses colonies : pouvait-elle s’étonner que l’esclavage cherchât à se venger lui-même, et qu’une liberté vainement proclamée à Paris devînt une insurrection à Saint-Domingue ? Toute iniquité qu’une société libre laisse subsister au profit des oppresseurs est un glaive dont elle arme elle-même les opprimés. Le droit est la plus dangereuse de toutes les armes. Malheur à qui la laissé à ses ennemis !


VIII

Saint-Domingue l’attestait : cinquante mille esclaves noirs s’étaient soulevés dans une nuit, à l’instigation et sous