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croient égaler le génie en dépassant la raison. Une scission de trente à quarante voix s’était opérée dans le côté gauche. Barnave et les Lameth les inspiraient. Le club des Amis de la Constitution, devenu le club des Jacobins, leur répondait au dehors. L’agitation populaire était soulevée par eux, contenue par Mirabeau, qui ralliait contre eux la gauche, le centre et les membres raisonnables du côté droit. Ils conspiraient, ils cabalaient, ils fomentaient les divisions dans l’opinion bien plus qu’ils ne gouvernaient l’Assemblée. Mirabeau mort leur laissait la place vide.

Les Lameth, hommes de cour, élevés par les bontés de la famille royale, comblés des faveurs et des pensions du roi, avaient ces éclatantes défections de Mirabeau sans avoir l’excuse de ses griefs contre la monarchie ; cette défection était un de leurs titres à la faveur populaire. Hommes habiles, ils portaient dans la cause nationale le manége des cours où ils avaient été nourris. Leur amour de la Révolution était pourtant désintéressé et sincère ; mais leurs talents distingués n’égalaient pas leur ambition. Écrasés par Mirabeau, ils ameutaient contre lui tous ceux que l’ombre de ce grand homme éclipsait avec eux. Ils cherchaient un rival à lui opposer, ils ne trouvaient que des envieux. Barnave se présenta, ils l’entourèrent, ils l’applaudirent, ils l’enivrèrent de sa propre importance. Ils lui persuadèrent un moment que des phrases étaient de la politique, et qu’un rhéteur était un homme d’État.

Mirabeau fut assez grand pour ne pas le craindre et assez juste pour ne pas le mépriser. Barnave, jeune avocat du Dauphiné, avait débuté avec éclat dans ces conflits entre le parlement et le trône, qui avaient agité sa province et exercé sur de petits théâtres l’éloquence des hommes