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peu éclatant encore, mais ardent, de la Révolution. Les noms qui s’y rencontrent révèlent, dès le premier jour, les opinions extrêmes. Pour ces opinions, la constitution de 1791 n’était qu’une halte.

Ce fut le 20 février 1791 que madame Roland rentra dans ce Paris d’où elle était sortie cinq ans auparavant jeune fille inaperçue et sans nom, et où elle revenait comme une flamme pour animer tout un parti, fonder la République, régner un moment et mourir. Elle avait dans l’âme un confus pressentiment de cette destinée. Le génie et la volonté connaissent leurs forces, ils sentent avant les autres et ils prophétisent leur mission. Madame Roland semblait d’avance emportée par la sienne au centre de l’action. Elle courut le lendemain de son arrivée aux séances de l’Assemblée. Elle vit le puissant Mirabeau, l’étonnant Cazalès, l’audacieux Maury, l’astucieux Lameth, le froid Barnave. Elle remarqua avec le dépit de la haine, dans l’attitude et le langage du côté droit, cette supériorité que donnent l’habitude de la domination et la confiance dans le respect des masses ; dans l’attitude du côté gauche, l’infériorité des manières et l’insolence mêlée à la subalternité. Ainsi l’aristocratie antique survivait dans le sang et se vengeait, même après sa défaite, de la démocratie qui l’enviait en la subjuguant. L’égalité s’écrit dans les lois longtemps avant de s’établir entre les races. La nature est aristocrate ; il faut une longue pratique de l’indépendance pour donner aux peuples républicains le maintien noble et la dignité polie du citoyen. En révolution même, dans le vainqueur on sent longtemps le parvenu de la liberté. Les femmes ont le tact plus sensible à ces nuances. Madame Roland les comprit ; mais loin de se laisser séduire par cette supério-