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XIII

Cependant la Révolution de 89 avait sonné, et était venue la surprendre au sein de cette retraite. Enivrée de philosophie, passionnée pour l’idéal de l’humanité, adoratrice de la liberté antique, elle s’enflamma dès la première étincelle à ce foyer d’idées nouvelles ; elle crut de bonne foi que cette révolution, comme un enfantement sans douleur, allait régénérer l’espèce humaine, détruire la misère de la classe malheureuse, sur laquelle elle s’attendrissait, et renouveler la face du monde. Il y a de l’imagination jusque dans la piété des grandes âmes. L’illusion généreuse de la France à cette époque était égale à l’œuvre que la France avait à accomplir. Si elle n’avait pas tant espéré, elle n’eût rien osé. Sa foi dans une régénération sociale fut sa force.

De ce jour, madame Roland sentit s’allumer en elle un feu qui ne devait plus s’éteindre que dans son sang. Tout l’amour oisif qui sommeillait dans son âme se convertit en enthousiasme et en passion pour l’humanité. Sa sensibilité, trop ardente sans doute pour un seul homme, se répandit sur tout un peuple. Elle aima la Révolution comme une amante. Elle communiqua cette flamme à son mari et à ses amis. Toute sa passion contenue se versa dans ses opinions. Elle se vengea de sa destinée, qui lui refusait le bonheur pour elle-même, en se consumant pour le bonheur des au-