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mettes, rangeant le bûcher de madame de Warens de la main qui devait écrire le Contrat social, ou Philopœmen coupant son bois.


VI

Du fond de cette vie retirée, elle apercevait quelquefois le monde supérieur qui brillait au-dessus d’elle ; les éclairs qui lui découvraient la haute société offensaient ses regards plus qu’ils ne l’éblouissaient. L’orgueil de ce monde aristocratique qui la voyait sans la compter pesait sur son âme. Une société où elle n’avait pas son rang lui semblait mal faite. C’était moins de l’envie que de la justice révoltée en elle. Les êtres supérieurs ont leur place marquée par Dieu, et tout ce qui les en écarte leur semble une usurpation. Ils trouvent la société souvent inverse de la nature ; ils se vengent en la méprisant. De là la haine du génie contre la puissance. Le génie rêve un ordre de choses où les rangs seraient assignés par la nature et par la vertu. Ils le sont presque toujours par la naissance, cette faveur aveugle de la destinée. Il y a peu de grandes âmes qui ne sentent en naissant la persécution de la fortune, et qui ne commencent par une révolte intérieure contre la société. Elles ne s’apaisent qu’en se décourageant. D’autres se résignent, par une compréhension plus haute, à la place que Dieu leur assigne. Servir humblement le monde est encore plus beau que de le dominer. Mais c’est là le comble de la vertu. La