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avait donné) ; tel était à dix-huit ans le portrait de cette jeune fille que l’obscurité couva longtemps dans son ombre, comme pour préparer à la vie et à la mort une âme plus forte et une victime plus accomplie.


III

Son intelligence éclairait cette enveloppe d’une lueur précoce et soudaine qui ressemblait déjà à l’inspiration. Elle aspirait, pour ainsi dire, les connaissances les plus difficiles en les épelant. Ce qu’on enseigne à son âge et à son sexe ne lui suffisait pas. La mâle éducation des hommes était un attrait et un jeu pour elle. Son esprit puissant avait besoin de tous les instruments de la pensée comme d’un exercice. Religion, histoire, philosophie, musique, peinture, danse, sciences exactes, chimie, langues étrangères et langues savantes, elle apprenait tout et désirait plus. Elle formait elle-même sa pensée de tous les rayons que l’obscurité de sa condition laissait arriver jusqu’au laboratoire de son père. Elle dérobait même furtivement les livres que les jeunes apprentis apportaient et oubliaient pour elle dans l’atelier. Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, Montesquieu, les philosophes anglais, lui tombèrent ainsi dans les mains. Mais sa véritable nourriture, c’était Plutarque.

« Je n’oublierai jamais, dit-elle, le carême de 1763, pendant lequel j’emportai tous les jours ce livre à l’église en guise de livre de prières ; c’est de ce moment que datent