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le chœur antique, où toutes les grandes voix du drame se confondaient dans un orageux accord. Penseur par l’inspiration, tribun par l’éloquence, femme par l’attrait, sa beauté, invisible à la foule, avait besoin de l’intelligence pour être comprise et de l’admiration pour être sentie. Ce n’était pas la beauté des traits et des formes, c’était l’inspiration visible et la passion manifestée. Attitude, geste, son de voix, regard, tout obéissait à son âme pour lui composer son éclat. Ses yeux noirs, avec des teintes de feu sur la prunelle, laissaient jaillir à travers de longs cils autant de tendresse que de fierté. On suivait son regard souvent perdu dans l’espace, comme si l’on eût dû y rencontrer avec elle l’inspiration qu’elle y poursuivait. Ce regard, ouvert et profond comme son âme, avait autant de sérénité qu’il avait d’éclairs. On sentait que la lueur de son génie n’était que la réverbération d’un foyer de tendresse au cœur. Aussi y avait-il un secret amour dans toute admiration qu’elle excitait, et, elle-même, dans l’admiration, n’estimait que l’amour. L’amour, pour elle, n’était que de l’admiration allumée.

Les événements mûrissent vite. Les idées et les choses s’étaient pressées dans sa vie ; elle n’avait point eu d’enfance. À vingt-deux ans, elle avait la maturité de la pensée avec la grâce et la séve des jeunes années. Elle écrivait comme Rousseau, elle parlait comme Mirabeau. Capable de conceptions hardies et de desseins suivis, elle pouvait contenir à la fois dans son sein une grande pensée et un grand sentiment. Comme les femmes de Rome, qui au déclin de la république agitaient le monde du mouvement de leur cœur, ou qui donnaient et retiraient l’empire avec leur faveur, elle voulait que sa passion se confondît avec sa