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taire, le mépris du christianisme et le mépris des institutions monarchiques s’étaient librement propagés. Les forces morales n’étaient rien pour ce prince matérialiste. Les baïonnettes étaient, à ses yeux, tout le droit des princes, l’insurrection tout le droit des peuples, les victoires ou les défaites tout le droit public. Sa fortune, toujours heureuse, avait été complice de son immoralité. Il avait reçu la récompense de chacun de ses vices, parce que ses vices étaient grands. En mourant, il avait laissé son génie pervers à Berlin. C’était la ville corruptrice de l’Allemagne. Des militaires nourris à l’école de Frédéric, des académies modelées sur le génie de Voltaire, des colonies de juifs enrichis par la guerre et de Français réfugiés, peuplaient Berlin et en formaient l’esprit public. Cet esprit public, léger, sceptique, insolent et railleur, intimidait le reste de l’Allemagne. L’affaiblissement de l’esprit allemand date de Frédéric II. Il fut le corrupteur de l’empire. Il conquit l’Allemagne à l’esprit français ; il fut un héros de décadence.

Berlin le continuait après sa mort. Les grands hommes laissent toujours leur impulsion à leur pays. Le règne de Frédéric avait eu un résultat permanent. La tolérance religieuse était née en Allemagne du mépris même où Frédéric avait tenu les religions. À l’ombre de cette tolérance, l’esprit philosophique avait organisé des associations occultes à l’image de la franc-maçonnerie. Les princes allemands se faisaient initier. On croyait faire acte d’esprit supérieur en pénétrant dans ces ombres, qui au fond ne renfermaient rien que quelques principes généraux d’humanité et de vertu, sans application immédiate aux institutions civiles. Frédéric, dans sa jeunesse, y avait été initié