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gions qui aspirent toujours plus haut qu’elles ne montent ; c’est ce qui produit le fanatisme, ce délire de la vertu. Rousseau était l’idéal de la politique, comme Fénelon avait été l’idéal du christianisme.

Voltaire avait eu le génie de la critique, la négation railleuse qui flétrit tout ce qu’elle renverse. Il avait fait rire le genre humain de lui-même, il l’avait abattu pour le relever, il avait étalé devant lui tous les préjugés, toutes les erreurs, toutes les iniquités, tous les crimes de l’ignorance ; il l’avait poussé à l’insurrection contre les idées consacrées, non par l’enthousiasme pour l’avenir, mais par le mépris du passé. La destinée lui avait donné quatre-vingts ans de vie pour décomposer lentement le vieux siècle ; il avait eu le temps de combattre contre le temps, et il n’était tombé que vainqueur. Ses disciples remplissaient les cours, les académies et les salons ; ceux de Rousseau s’aigrissaient et rêvaient plus bas dans les rangs inférieurs de la société. L’un avait été l’avocat heureux et élégant de l’aristocratie ; l’autre était le consolateur secret et le vengeur aimé de la démocratie. Le livre de Rousseau était le livre des opprimés et des âmes tendres. Malheureux et religieux lui-même, il avait mis Dieu du côté du peuple ; ses doctrines sanctifiaient l’esprit en insurgeant le cœur. Il y avait de la vengeance dans son accent ; mais il y avait aussi de la piété : le peuple de Voltaire pouvait renverser des autels ; le peuple de Rousseau pouvait les relever. L’un pouvait se passer de vertu et s’accommoder des trônes ; l’autre avait besoin d’un Dieu et ne pouvait fonder que des républiques.

Leurs nombreux disciples continuaient leur mission, et possédaient tous les organes de la pensée publique ; depuis