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s’était glissée, par ses lèvres, entre Louis XIV et l’oreille de son petit-fils. Fénelon élevait toute une révolution dans le duc de Bourgogne. Le roi s’en était aperçu trop tard, et avait chassé la séduction divine de son palais. Mais la politique révolutionnaire y était née. Les peuples la lisaient dans les pages du saint archevêque. Versailles devait être à la fois, grâce à Louis XIV et Fénelon, le palais du despotisme et le berceau de la Révolution. Montesquieu avait sondé les institutions et analysé les lois de tous les peuples. En classant les gouvernements il les avait comparés ; en les comparant il les avait jugés. Ce jugement faisait ressortir et contraster, à toutes les pages, le droit et la force, le privilége et l’égalité, la tyrannie et la liberté.

Jean-Jacques Rousseau, moins ingénieux, mais plus éloquent, avait étudié la politique, non dans les lois, mais dans la nature. Âme libre, mais opprimée et souffrante, le soulèvement généreux de son cœur avait soulevé tous les cœurs ulcérés par l’inégalité odieuse des conditions sociales. C’était la révolte de l’idéal contre la réalité. Il avait été le tribun de la nature, le Gracchus des philosophes ; il n’avait pas fait l’histoire des institutions, il en avait fait le rêve ; mais ce rêve venait du ciel et y remontait. On y sentait le dessein de Dieu et la chaleur de son amour ; on n’y sentait pas assez l’infirmité des hommes. C’était l’utopie des gouvernements ; mais par là même Rousseau séduisait davantage. Pour passionner les peuples il faut qu’un peu d’illusion se mêle à la vérité ; la réalité seule est trop froide pour fanatiser l’esprit humain : il ne se passionne que pour des choses un peu plus grandes que nature ; c’est ce qu’on appelle l’idéal, c’est l’attrait et la force des reli-