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rement le pouvoir debout quand la foi chancelle. L’Europe monarchique était l’œuvre du catholicisme. La politique s’était faite à l’image de l’Église. L’autorité y était fondée sur un mystère. Le droit y venait d’en haut. Le pouvoir, comme la foi, était réputé divin. L’obéissance des peuples y était sacrée, et, par là même, l’examen était un blasphème et la servitude y devenait une vertu. L’esprit philosophique, qui s’était révolté tout bas, depuis trois siècles, contre une doctrine que les scandales, les tyrannies et les crimes des deux pouvoirs démentaient tous les jours, ne voulait plus reconnaître un titre divin dans des puissances qui niaient la raison, qui asservissaient les peuples. Tant que le catholicisme avait été la seule doctrine légale en Europe, ces révoltes sourdes de l’esprit n’avaient point ébranlé les États. Elles avaient été punies par la main du pouvoir. Les cachots, les supplices, les inquisitions, les bûchers, avaient intimidé le raisonnement et maintenu debout le double dogme sur lequel reposaient les deux gouvernements.

Mais l’imprimerie, cette explosion continue de la pensée humaine, avait été pour les peuples comme une seconde révélation. Employée d’abord exclusivement par l’Église à la vulgarisation des idées régnantes, elle avait commencé bientôt à les saper. Les dogmes du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, sans cesse battus par ces flots de lumière, ne devaient pas tarder à s’ébranler dans l’esprit d’abord, et bientôt dans les choses. Guttenberg, sans le savoir, avait été le mécanicien d’un nouveau monde. En créant la communication des idées, il avait assuré l’indépendance de la raison. Chaque lettre de cet alphabet qui sortait de ses doigts contenait en elle plus de force que