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mené son indigence et ses rêves au sein de la nature, dont le spectacle apaise et purifie tout. Il en était sorti un philosophe. Brissot avait traîné sa misère et sa vanité au milieu de Paris et de Londres, et dans ces sentines d’infamie où pullulent les aventuriers et les pamphlétaires. Il en était sorti un intrigant.

Cependant, même au milieu de ces vices qui avaient rendu sa probité douteuse et son nom suspect, il nourrissait au fond de son âme trois vertus capables de le relever : un amour constant pour une jeune femme qu’il avait épousée malgré sa famille, le goût du travail, et un courage contre les difficultés de la vie qu’il eut plus tard à déployer contre la mort. Sa philosophie était celle de Rousseau. Il croyait en Dieu. Il avait foi à la liberté, à la vérité, à la vertu. Il avait dans l’âme ce dévouement sans réserve à l’humanité qui est la charité des philosophes. Il détestait la société où il ne trouvait pas sa place. Mais ce qu’il haïssait de l’état social, c’était surtout ses préjugés et ses mensonges. Il aurait voulu le refaire, moins pour lui que pour la société elle-même. Il consentait à être écrasé sous ses ruines, pourvu que ces ruines eussent fait place au plan idéal du gouvernement de la raison. Brissot fut d’abord un de ces talents mercenaires qui écrivent pour qui les paye. Il avait écrit sur tous les sujets, pour tous les ministres, pour Turgot surtout. Lois criminelles, théories économiques, diplomatie, littérature, philosophie, libelles même, sa plume se prêtait à tous les usages. Cherchant l’appui de tous les hommes puissants ou célèbres, il avait encensé depuis Voltaire et Franklin jusqu’à Marat. Connu de madame de Genlis, il lui avait dû quelques relations avec le duc d’Orléans. Envoyé à Londres par le ministre, pour une de ces missions qu’on