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respecter ; il ne lui parlait ni de principes ni de vertu, mais de force. Lui-même n’adorait guère que la force. Tout était moyen pour lui. C’était l’homme d’État des circonstances, jouant avec le mouvement sans autre but que ce jeu terrible, sans autre enjeu que sa vie, et sans autre responsabilité que le hasard.

Un tel homme devait être profondément indifférent au despotisme ou à la liberté. Son mépris du peuple devait même l’incliner plutôt du côté de la tyrannie. Quand on ne voit rien de divin dans les hommes, le meilleur parti à en tirer, c’est de les asservir. On ne sert bien que ce qu’on respecte. Il n’était avec le peuple que parce qu’il était du peuple, et que le peuple semblait devoir triompher. Il l’aurait trahi comme il le servait, sans scrupule. La cour connaissait le tarif de ses convictions. Il la menaçait pour qu’elle eût intérêt à l’acheter : ses motions les plus révolutionnaires n’étaient que l’enchère de sa conscience. Il avait la main dans toutes les intrigues ; sa probité n’intimidait aucune offre de corruption. On l’achetait tous les jours, et le lendemain il était encore à revendre. Mirabeau, La Fayette, Montmorin, M. de Laporte, intendant de la liste civile, le duc d’Orléans, le roi, avaient le secret de ses vénalités. L’argent de toutes ces sources impures avait coulé dans sa fortune sans s’y arrêter. Tout autre eût été honteux devant des hommes et des partis qui avaient le secret de sa faiblesse : lui seul ne l’était pas ; il les regardait en face sans rougir. Il était le centre de tous ces hommes qui ne cherchent dans les événements que la grandeur. Mais les autres n’avaient que la bassesse du vice ; les vices de Danton étaient héroïques. Son intelligence touchait au génie. Il avait l’éclair du moment. L’incrédulité, qui était