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XXI

Danton, que la Révolution avait trouvé avocat obscur au Châtelet, avait grandi avec elle. Il avait déjà cette célébrité que la foule donne aisément à celui qu’elle voit partout et qu’elle entend toujours. C’était un de ces hommes qui semblent naître du bouillonnement des révolutions, et qui flottent sur le tumulte jusqu’à ce qu’il les engloutisse. Tout en lui était athlétique, rude et vulgaire comme les masses. Il devait leur plaire, parce qu’il leur ressemblait. Son éloquence imitait l’explosion des foules. Sa voix sonore tenait du rugissement de l’émeute. Ses phrases courtes et décisives avaient la concision martiale du commandement. Son geste irrésistible imprimait l’impulsion aux rassemblements. L’ambition alors était toute sa politique. Sans principes arrêtés, il n’aimait de la démocratie que son trouble. Elle lui avait fait son élément. Il s’y plongeait, et y cherchait moins encore l’empire que cette volupté sensuelle que l’homme trouve dans le mouvement accéléré qui l’emporte. Il s’enivrait du vertige révolutionnaire comme on s’enivre du vin. Il portait bien cette ivresse. Il avait la supériorité du calme dans la confusion qu’il créait pour la dominer. Conservant le sang-froid dans la fougue et la gaieté dans l’emportement, ses mots déridaient les clubs au milieu de leur fureur. Il amusait le peuple et il le passionnait à la fois. Satisfait de ce double ascendant, il se dispensait de le