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gique et la colère réfléchie de la conviction. Élève de Voltaire, de d’Alembert et d’Helvétius, il était, comme Bailly, de cette génération intermédiaire par qui la philosophie entrait dans la Révolution. Plus ambitieux que Bailly, il n’en avait pas le calme impassible. Aristocrate de naissance, il avait passé comme Mirabeau dans le camp du peuple. Méprisé de la cour, il la haïssait de la haine des transfuges. Il s’était fait peuple pour faire du peuple l’armée de la philosophie. Il ne voulait de la république qu’autant qu’il en fallait pour renverser les préjugés. Une fois les idées victorieuses, il en aurait volontiers confié le règne à la monarchie constitutionnelle. C’était un homme de combat plutôt qu’un homme d’anarchie. Les aristocrates emportent toujours avec eux, dans le parti populaire, le sentiment de l’ordre et du commandement. Ils veulent régulariser le désordre et diriger même les tempêtes. Les vrais anarchistes sont ceux qui sont impatients d’avoir toujours obéi, et qui se sentent incapables de commander. Condorcet dirigeait depuis 1789 la Chronique de Paris, journal de doctrines constitutionnelles, mais où l’on sentait les palpitations de la colère sous la main polie et froide du philosophe. Si Condorcet eût été doué de la chaleur et de la couleur du langage, il pouvait être le Mirabeau d’une autre assemblée. Il en avait la foi et la constance, il n’en avait pas l’accent sonore qui fait retentir votre âme dans l’âme d’autrui. Le club des électeurs de Paris, qui se réunissait à la Sainte-Chapelle, portait Condorcet à la députation. Ce même club portait Danton.