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nadiers de cette armée de citoyens formaient l’avant garde. Un peuple immense suivait, par un entraînement naturel, ce courant de baïonnettes qui descendait lentement par les quais et par les rues du Gros-Caillou vers le Champ de Mars. Pendant cette marche, l’autre peuple, réuni depuis le matin autour de l’autel de la patrie, continuait à signer paisiblement la pétition. Il croyait à un développement de forces, mais il ne croyait pas à la violence. Son attitude calme et légale, et la longue impunité des séditions depuis deux ans, lui laissaient croire à une impunité éternelle. Il ne considérait le drapeau rouge que comme une loi de plus à mépriser.

Arrivé aux glacis extérieurs du Champ de Mars, La Fayette divisa son armée en trois colonnes : la première de ces colonnes déboucha par l’avenue de l’École militaire, la seconde et la troisième colonne entrèrent par les deux ouvertures successives qui coupent les glacis de distance en distance en allant de l’École militaire à la Seine. Bailly, La Fayette, le corps municipal, le drapeau rouge, étaient en tête de la colonne du milieu. Le pas de charge, battu par quatre cents tambours, et le roulement des pièces de canon sur les pavés, annonçaient de loin l’armée nationale. Ces bruits éteignirent un moment le sourd murmure et les cris épars de cinquante mille hommes, femmes ou enfants, qui occupaient le centre du Champ de Mars ou qui se pressaient sur les hauteurs. Au moment où Bailly débouchait entre les glacis, les hommes du peuple qui les couvraient, et qui dominaient de là le cortége du maire, les baïonnettes et les canons, éclatèrent en cris forcenés et en gestes menaçants contre la garde nationale : « À bas le drapeau rouge ! Honte à Bailly ! Mort à La Fayette ! » Le peuple du Champ de