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bilité désarme l’intelligence ; on s’attendrit au lieu de raisonner ; le sentiment d’un homme ému devient bientôt sa politique.

C’est là ce qui s’était passé dans l’âme de Barnave pendant le retour de Varennes. L’intérêt qu’il avait conçu pour la reine avait converti ce jeune républicain à la royauté. Barnave n’avait connu jusque-là cette princesse qu’à travers ce nuage de préventions dont les partis enveloppent ceux qu’ils veulent haïr. Le rapprochement soudain faisait tomber cette atmosphère de convention. Il adorait de près ce qu’il avait calomnié de loin. Le rôle même que la fortune lui donnait dans la destinée de cette femme avait quelque chose d’inattendu et de romanesque, capable d’éblouir son orgueilleuse imagination et d’attendrir sa générosité. Jeune, obscur, inconnu, il y a peu de mois ; aujourd’hui célèbre, populaire, puissant, jeté au nom d’une assemblée souveraine entre le peuple et le roi, il devenait le protecteur de ceux dont il avait été l’ennemi. Des mains royales et suppliantes touchaient ses mains de plébéien. Il opposait la royauté populaire du talent et de l’éloquence à la royauté du sang des Bourbons. Il couvrait de son corps la vie de ceux qui avaient été ses maîtres. Son dévouement même était un triomphe ; l’objet de ce dévouement était sa reine. Cette reine était jeune, belle, majestueuse, mais humanisée par sa terreur pour son mari et pour ses enfants. Ses yeux en larmes imploraient son salut des yeux de Barnave. Il était le premier orateur de cette assemblée qui tenait le sort de cette monarchie en suspens. Il était le favori de ce peuple qu’il gouvernait d’un geste, et dont il écartait la fureur, pendant cette longue route entre le trône et la mort. Cette femme mettait son fils, le jeune Dauphin, entre ses genoux.