Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 9.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peuple seul le pleurait sincèrement, parce que le peuple est trop fort pour être jaloux, et que, bien loin de reprocher à Mirabeau sa naissance, il aimait en lui cette noblesse comme une dépouille qu’il avait conquise sur l’aristocratie. De plus, la nation inquiète, qui voyait tomber une à une ses institutions et qui craignait un bouleversement total, sentait par instinct que le génie d’un grand homme était la dernière force qui lui restait. Ce génie éteint, elle ne voyait plus que les ténèbres et les précipices sous les pas de la monarchie. Les Jacobins seuls se réjouissaient tout haut, car cet homme seul pouvait les contrebalancer.

Ce fut le 6 avril 1791 que l’Assemblée nationale reprit ses séances. La place de Mirabeau restée vide attestait à tous les regards l’impuissance de le remplacer. La consternation était peinte sur le front des spectateurs dans les tribunes. Dans la salle, le silence régnait. M. de Talleyrand annonça à l’Assemblée un discours posthume de Mirabeau. On voulut l’entendre encore après sa mort. L’écho affaibli de cette voix semblait revenir à sa patrie du fond des caveaux du Panthéon. La lecture fut morne. L’impatience et l’anxiété pressaient les esprits. Les partis brûlaient de se mesurer sans contre-poids. Ils ne pouvaient tarder de se combattre. L’arbitre qui les modérait avait disparu.